Denis Hirson auteur à qui l’on doit une excellente Anthologie de la poésie sud-africaine en 1998, a poursuivi son œuvre de bénédictin avec une collecte de poèmes récents, composés entre 1996 à 2013. Pourquoi ces dates curieuses ? Les auditions de la Commission Vérité et Réconciliation commencent en 1996 : le pays se lance dans une introspection douloureuse. En 2013, la Biennale des poètes en Val-de-Marne invitait quatorze poètes sud-africains. Mandela s’éteignait en fin d’année, fermant une page dans l’histoire du pays.
Rassembler des poètes dans un pays qui compte onze langues officielles est une gageure. Car si le rouleau compresseur de l’anglais est bel et bien en marche dans la vie quotidienne et dans la vie scolaire, la poésie, au plus près des sentiments, a allumé quelques contrefeux. Plus précisément, d’après les compétitions de poètes, accueillies par l’Alliance française de Johannesburg, les jeunes auteurs privilégient un mélange de plusieurs langues, auquel s’ajoute l’isicamtho « l’argot omniprésent des townships ».
Dans ces conditions, constate Denis Hirson, il est difficile de dégager une évolution générale de la poésie sud-africaine. Elle demeure partagée entre histoires personnelles et grands élans collectifs.
Plusieurs poètes seront à l’honneur dans des billets ultérieurs. Pas de blessure, pas d’histoire, titre tiré d’un poème de Denis Hirson, offre un florilège de textes forts, dont voici, à la volée et de façon subjective, quelques extraits.
Mxolisi Nyezwa, (1967), petit commerçant privé d’études, célèbre pour son poème « Je voudrais être assistant en fac », dans un style plus désespéré.
Mes poèmes ne m’en parlez pas
Car dans mon pays je vous le dis on assassine les gens
Et leur mort arrive lentement comme une maladie
Comme quand on frappe en vain
Sur un ciel vide.
Karen Press (1956), militante toujours fidèle à son idéal de justice.
Nous savons tous ce que ça veut dire,
l’arrivée dans une ville d’un jeune daim
sans peur, immobile sur la route.
tandis que les voitures filent vers lui.
Keorapetse Kgositsile (1938) longtemps exilé au Botswana, craignait à tout moment une attaque de l’armée sud-africaine. Il donnait cours avec un pistolet dans son sac de sport.
Son, où même les canettes de bière
ont trouvé ton lien avec le vent !
Esprit, je pourrais te nommer baobab
Mais où est passée la terre ?
Gcina Mhlope (1959), conteuse zouloue, charismatique et adepte du dithyrambe, s’adressant au président lors d’une audition de la Commission Vérité et Réconciliation.
S’il te plait, souviens-toi, la trahison fait bien plus de mal
Que la piqûre d’un million de scorpions.
Gabeba Baderoon (1969), issue de la communauté indienne, relatant la vie de sa famille et ses expériences personnelles.
Je te trouve
ouvert comme une tente.
tu es une écorce de cannelle
arquée autour de moi.
Ronelda Kamfer (1981) de langue afrikaans, sur la violence dans la banlieue métisse du Cap.
Des pères j’en ai connu des tas
des qui détestent leurs enfants
des qui aiment un peu trop leurs filles
des qui battent leur femme
des qui délirent sans leur pinard
des qui n’ouvrent pas la bouche
Des pères j’en connais des tas
sauf celui que
je n’ai jamais vu.
Bacchanales n°50, édition dirigée par Denis Hirson, Poèmes d’Afrique du Sud 1996-2013 dont il faut saluer la remarquable présentation. Traducteurs des extraits cités : Katia Wallisky, Michèle Mérail, Denis Hirson, Pierre-Marie Finkelstein.
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