Le Sacre de Yorgos Lanthimos à Cannes: «La mise à mort du cerf sacré»

Le titre en anglais restitue mieux l’ampleur de l’horreur annoncée. Dans « The Killing of a Sacred Dear », de Yorgos Lanthimos, la « Mise à mort du cerf sacré » est homonyme avec celle d’un proche. Le film, doté d'un casting prestigieux avec Nicole Kidman et Colin Farrel, s’ouvre avec une opération à cœur ouvert et une discussion entre un cardiologue et un anesthésiste sur l’étanchéité à l’eau d’un bracelet-montre. Quelle valeur donner à la vie et au temps ? En lice pour la Palme d’or à Cannes, le réalisateur grec nous pose cruellement la question.

Le réalisateur grec nous avait déjà déroutés en 2015 avec The Lobster, une satire située dans un univers totalitaire où tout célibataire est transformé en animal s’il ne trouve pas l’âme sœur dans les 45 jours. Dans « Mise à mort du cerf sacré », Yorgos Lanthimos nous fait rencontrer une famille exemplaire : Steven Murphy est un chirurgien réputé, son épouse Anna fait carrière comme ophtalmologue et leurs enfants Kim, 14 ans, et Bob, 12 ans, aiment la vie et la musique.

« La chose la plus proche de la Justice »

Tout va bien, jusqu’à l’apparition de Martin. Cet ado de 16 ans a tragiquement perdu son père, mort pendant une opération faite par Steven Murphy. Depuis, le chirurgien s’occupe de lui pour le soutenir. Mais le gentil garçon du début devient de plus en plus exigeant. Il commence à ensorceler la famille avec des petites attentions, jusqu’à menacer son bienfaiteur et faire une prophétie : tous les membres de sa famille seront bientôt paralysés, ils refuseront de se nourrir et mourront, sauf si Steven se montre prêt à sacrifier l’un de ses enfants pour sauver les autres.

Pour justifier sa prédiction diabolique, il accuse Steven d’avoir causé la mort de son père et met ainsi le doigt sur la plaie : « c’est la chose la plus proche de la justice. » Commence alors un chemin de croix cinématographique à la Yorgos Lanthimos n’épargnant ni ses protagonistes sur grand écran ni les spectateurs dans la salle. Tout le film est construit sur une tension sous-jacente, prête à exploser à tout moment. Par exemple, quand le regard louche de Martin se fixe sur les belles mains immaculées du chirurgien ou quand la voix monocorde de Martin tranche avec la paralysie de plus en plus terrifiante des enfants.

La mise à mort d’un innocent

Pourtant, l’histoire est prévisible. Mais c’est justement cette prévisibilité du scénario qui fait le « charme » de l’horreur procurée. Cette intransigeance diabolique à l’œuvre est d’une radicalité biblique : le sacrifice d’un enfant est censé de rétablir l’ordre divin. Barry Keoghan interprète à merveille Martin, ce garçon malsain et imperturbable. Un être habité par la vengeance et prenant la place de dieu. Avec Steven, le docteur psychorigide interprété par Colin Farrel, il a trouvé son Ponce Pilate pour la mise à mort d’un innocent. Nicole Kidman incarne avec ferveur le désarroi de la mère prête à tout renier pour sauver sa progéniture. Les images d'hypnose de Yorgos Lanthimos procurent la sensation d’un plaisir douloureux et ambigu. Des frissons aigres-doux accompagnés de la musique de Stabat Mater, ce chant choral évoquant la souffrance de Marie lors de la crucifixion de son fils Jésus-Christ.

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