L’excellent film Les initiés de John Trengove met en valeur un acteur surprenant, Nakhane Touré. Il incarne un instructeur compatissant, amoureux d’un collègue emporté. Pour jouer un rôle dans toute sa complexité, il fallait probablement un homme affichant son homosexualité.
Neveu de chef xhosa, Nakhane Touré, né en 1988, a grandi sous son aile dans la bourgade d’Alice, dans l’Eastern Cape, au sein d’une société machiste. Il a passé son adolescence à Port Elizabeth avant de prendre le chemin de Johannesburg. Enraciné dans la culture xhosa, son oncle acceptait pourtant les remarques de l’adolescent sur les cérémonies d’initiation qui se déroulent strictement entre hommes. On en devinait la brutalité, forgeant à la dure un esprit d’équipe. Le film nous apprend que ce stage de survie peut aussi susciter des amours ou des envieux. Il est difficile de devenir un homme, remarquait Elisabeth Badinter dans son essai XY. Mandela lui-même le reconnaissait, lui qui avait subi ce rite d’initiation xhosa, admettant qu’il ne s’était pas montré le plus courageux de son groupe.
Nakhane Touré est chanteur, musicien polyvalent (piano, trombone, marimbas, guitare) et vidéaste. La Cour constitutionnelle est bâtie sur les ruines d’une ancienne prison de Johannesburg, dont on a conservé des restes : c’est dans l’une de ses cellules qu’iI a tourné une vidéo pour souligner son enfermement mental et la détestation de soi.
Au bout d’un accouchement de sept ans, il nous livre son premier roman, tout en finesse, fourmillant de touches autobiographiques.
Davide M. est un tout jeune homme, issu d’une famille royale en déchéance. Il revient à Alice, chez son oncle, qui héberge aussi un hôte nommé Gray. Ce dernier tombe amoureux de Davide. Ils nouent une brève idylle, mais Davide se détache de l’adulte, sur fond de rébellion contre sa mère et de collision des souvenirs d’enfance. Après une longue valse-hésitation, Davide finit par retrouver sa voix : il se met à parler à la première personne le jour où il accepte sa différence. Il se drape même dans la toge d’un prophète et cite fréquemment la Bible : non sans ironie, il imagine le stress d’Isaac, après la tentative de sacrifice, chaque fois qu’il voit son père se saisir d’un couteau.
Artiste de Jozi (le Johannesburg des branchés), Nakhane Touré parsème son livre de chansons modernes et n’abuse pas des expressions en xhosa. Son style elliptique, intelligent, donne à ses réflexions sur l’amour une subtilité de bon aloi.
Pourquoi donc Nakhane Mavuso a-t-il choisi un nom de scène mandingue ? Il s’agit d’un hommage au musicien malien Ali Farka Touré, décédé en 2006.
►Nakhane Toure. Piggy Boy’s Blues, BlackBird Books, 2015
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