«Tantale» au Fipa: la nouvelle télé, c’est «moi, le président»

Au Fipa, le public décide. Le XXXe Festival international de programmes audiovisuel (Fipa) a ouvert mardi 24 janvier au soir ses portes avec un film interactif du réalisateur Gilles Porte, Tantale. Via smartphone, chacun des mille spectateurs dans la salle pouvait lui-même influencer la fin de l’histoire et la manière d’y arriver. Pendant cinq jours, le Fipa, ce grand rendez-vous des professionnels de l’audiovisuel du monde entier, donnera un avant-goût des bouleversements qui attendent la télévision.

Avec notre envoyé spécial à Biarritz,

« J’y vais ? Ou j’y vais pas » ? Regarder Tantale signifie vivre les hésitations d’un président au plus près, être le président pendant le temps d’une séance de télévision. Cinq ans après le « moi, président » de François Hollande à la télé, chaque spectateur peut se vêtir du costume du président devant son écran. Il appuie simplement sur un bouton de son smartphone connecté au WiFi de la séance et décide ainsi de la suite de l’histoire.

« C’est au public de jouer. Maintenant, c’est "vous, président", explique Jérémy Pouilloux, le producteur de Tantale. Il y a eu un moment qui a été assez frappant et rigolo. Quand il s’agit de sacrifier la fille du président, les gens ont beaucoup hésité. Mais j’ai bien senti qu’ils avaient quand même beaucoup envie de la sacrifier. »

« C’est moi le président »

La raison d’État se trouve au cœur de Tantale. L’histoire met en scène un président français en train de convaincre les organisateurs des Jeux olympiques de choisir Paris pour les prochains Jeux d’été. L’action est située en septembre 2017 avec un président de la République tiraillé entre sa volonté de rester au pouvoir, les déboires de sa fille, le chantage d’Auguste, son ami de la Françafrique, et la corruption généralisée parmi les membres du Comité olympique…

En revanche, à chaque étape clé, ce sont les spectateurs, le moteur des actions. Ils décident si le président cède à la corruption ou pas. À la télé du futur, le mot d’ordre pour chaque spectateur est : « C’est moi le président ». Et si vous ne décidez pas, quelqu’un d’autre décide à votre place…

Pour l’acteur Émile Abossolo M’Bo qui joue Auguste, le membre africain du CIO, c’était une première de jouer dans un film interactif : « Une écriture-fleuve en 27 épisodes, tournés en très peu de temps. Le personnage change d’humeur selon les propositions. C’était une très belle aventure artistique. » Cependant, pour lui, l’essentiel ne change pas : « Cela permet aux spectateurs de rester ce qu’ils ont toujours été : pour moi, un spectateur n’est pas quelqu’un qui attend, c’est quelqu’un qui agit, qui écoute, qui participe. »

Un spectateur qui agit et participe

Le budget de Tantale s’élève à 600 000 euros. Un film participatif « est un domaine de recherche, admet le producteur Jérémy Pouilloux. Il n’y a pas vraiment d’industrie prête pour financer ce type de contenu. Donc, en général on produit ces contenus avec moins d’argent que pour la fiction traditionnelle. » En revanche, Tantale offre aux participants cinq fins différentes et 25 manières d’y arriver.

« Je réponds ? »,  « Je ne réponds pas ? », « Dénoncer la corruption ? » ou « Exfiltrer Auguste » ? « Je réfléchis encore ? » ou « Je l’envoie se faire foutre ? »... 574 des mille spectateurs dans la salle ont voté pendant la séance, s’enthousiasme Jérémy Pouilloux. Mais cela donne aussi des résultats faisant parfois froid dans le dos. Un exemple : 41% des votants dans la salle étaient prêts à provoquer une guerre en Centrafrique pour obtenir les Jeux olympiques pour la capitale de la France !

« Il faut prendre en considération le fait qu’on est dans une salle de cinéma et qu’on s’amuse, modère Jérémy Pouilloux en évoquant les pulsions « sanguinaires » des spectateurs. Donc on a le droit de tout faire. Ce qui est rigolo avec ce programme : on prend collectivement des décisions immorales. C’est ça qui fait beaucoup rire. »

L’histoire change avec le public

Tantale est un bébé du Fipa, né il y a quatre ans, au Smart Fipa, ce laboratoire et agence des visions de la télévision du futur qui nous projettent dans un avenir qui existe déjà. Christopher Canalis, le codirecteur du Smart Fipa, avait vu naître le projet qui donne cette année le « la » au Fipa : « On espère que cela sera une ère nouvelle pour le Fipa, avec des programmes plus interactifs plus présents dans la sélection. Dans Tantale, le président se demande : qu’est-ce que je dois faire ? Ça ou ça ? Le spectateur choisit et la majorité des spectateurs l'emporte. Donc, on est effectivement à la place du président et l’histoire change avec le public. »

Pour Didier Décoin, le président du Fipa, « le cri de guerre du festival reste : la qualité et la créativité d’abord ». Même son de cloche chez le délégué général François Sauvagnargues. Il souhaite, lui, « repousser les limites de la narration linéaire ». Dans Tantale, un spectateur curieux et interactif peut à jamais marquer l’histoire de la Ve République. En revanche, ces spectateurs titillés se montrent à leur tour très exigeants envers l’expérience concoctée par le réalisateur. Résultat : à la fin, pour certains dans la salle, l’expérience ressemble un peu au cinéma, un peu à la télé, un peu au jeu vidéo et même un peu à l’eau tiède. Voici un petit florilège des réactions des spectateurs après la séance interactive de Tantale au Fipa:

Un film tiède ou un public mollasson ?

« J’aimais l’idée expérimentale, mais je suis plutôt tiède par rapport au résultat. Ce n’est pas le fait de dire "oui" ou "non" sur un téléphone qui fait un bon film. » « C’était intéressant de s’identifier vraiment à un personnage, mais j’avais du mal à me projeter dans l’histoire. Le principe m’a plu, l’histoire un peu moins. » « Mon problème était que je n’avais plus de batterie [rires], donc je n’ai pas pu voter… sinon, c’était très intéressant. » « C’est l’avenir, ça peut relancer la télé. Après, il faut trouver le bon tempo dans le film pour que ça soit attractif. » « Franchement, c’était un peu mou. Avec un président un peu mou. Même le public était mollasson. J’avais l’impression de retrouver François Hollande. »

► Pour vivre l’expérience du film interactif de Tantale cliquez ici.
► Lire aussi : Fipa 2017: «La télévision ne va pas mourir»
30e FIPA, Festival international de programmes audiovisuels, à Biarritz, du 24 au 29 janvier 2017.

Partager :