RFI : Dans Tour de France, vous organisez le face-à-face, la rencontre entre Farouk, un jeune rappeur, et Serge, Gérard Depardieu. C’est un vieux monsieur ronchon, un peu fatigué, proche de l’après-retraite, qui n’aime pas beaucoup les Arabes et il le dit haut et fort. Vous, des « Serge », vous en avez rencontrés quand vous étiez encore maçon sur les chantiers.
Rachid Djaïdani : J’en ai rencontré. C’est vrai, au départ, souvent je réfléchis. Je ne vais pas atténuer le truc, mais « raciste », ça n’existe pas. Arrivé à un moment, il n’y a plus de passerelle. [Il y a quelque chose] qui s’est coupée entre nos France(s). En fin de compte, la vraie explosion, la mine antipersonnel qui a fait en sorte qu’on se soit séparés est sans doute que dans la vie du quotidien et même peut-être dans une stratégie purement politique, pour diviser, on a continué à faire peur. À faire peur aux uns - et en même temps, de la même manière, on va te faire croire que les mecs de quartier ou d’une certaine France vont nous mordre au premier regard. On nous fait croire aussi que les Français qui vivent dans les quartiers populaires ou autres sont racistes simplement parce qu’ils n’aiment pas les Arabes. Je pense que c’est plus complexe que ça.
Vous êtes très jeune, mais vous avez traversé plusieurs cultures. La culture française, la culture algérienne, vous avez traversé plusieurs métiers : vous avez été boxeur, travaillé sur des chantiers, vous êtes romancier, cinéaste. Comment voyez-vous aujourd'hui la France ?
Moi, la France je la vois fatiguée. Je la vois usée. Je la vois triste. Et en même temps, je vois toujours une lueur. Vous savez, le fait de faire ce film et de voyager à travers l’Hexagone, ça me permet au quotidien de voir des larmes et des gens qui se sont mis trop à l’écart, qui se sont comme sacrifiés et qui ont envie qu’on les regarde avec un peu plus de respect.
Dans votre film, par moments – et c’est très singulier, très beau – on a le sentiment d’être dans une sorte de conte de fées républicain. Et on sent bien que vous l’avez voulu, qu’il y a une volonté d’optimisme derrière ce film.
Je pense qu’aujourd’hui, franchement, on vit une période dans laquelle il faut du bon sentiment. Il faut dire bonjour, il faut dire au revoir, il faut dire merci… Il faut arriver à un moment à prendre du recul. C’est déjà par rapport au monde – comment il est train de partir en vrille – qu’on a une chance extraordinaire d’être en France. On a l’opportunité d’avoir les cheveux au vent, de voir nos enfants… Voilà. Et en même temps se dire : à un certain niveau politique, leur intérêt n’est pas celui-là. Parce que c’est la division qui leur apporte des voix. C’est là où moi je suis triste.
On a l’impression que Gérard Depardieu est pour vous une incarnation de la France - même s’il a provoqué une grande polémique, parce qu’il ne vit plus en France – y compris quand, un peu malicieusement, vous lui faites chanter du Serge Lama : Je suis malade.
Oui, mais ce moment est d’ailleurs émouvant. Mais pour moi « Tonton », c’est la plus belle France. C’est la France qui m’a nourri, c’est pour moi la France des Coluche et des Balavoine. La France des Léo Ferré… C’est une fierté aussi d’être porté par un homme comme « Tonton » parce que c’est lui qui a été courageux de me faire confiance. C’est lui qui m’a suivi. C’est lui qui a su me regarder. C’est lui qui, quand on va dans un restaurant et que les gens ne me disent pas bonjour ou ne me servent pas forcément, qui les remet en place pour leur dire : « Vous savez qui c’est celui-là ?! Lui, c’est Rachid ! C’est le réalisateur du film… Et si je suis là, c’est grâce à lui. Ah ! Vous ne lui avez pas servi à boire et vous ne lui avez même pas dit bonjour ! Eh bien, au revoir !… »
Vous savez pourquoi je vais mieux aujourd’hui ? C’est que je n’attends rien. Je n’attends plus rien. C’est ça ma révolution. C’est quand tu attends que t’es blessé. Moi, je n’attends plus. Je travaille et puis… Rengaine [son premier long métrage], je l’ai fait en avant. J’ai fait d’autres films. Là Tour de France. Le prochain ? Je ne sais pas ce qui se passera. Mais je ne suis pas dupe. Vous savez ce que je veux dire ? Je ne suis pas dupe parce que je sais que je ne suis pas le bienvenu aussi. Mais en même temps, je l’accepte.
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