[Entretien] Les migrants de La Chapelle et «leur» photographe

Pendant huit mois, le photographe Jean-Baptiste Pellerin a suivi les migrants installés sous la station de métro La Chapelle, à Paris, au camp improvisé dit de « Coubri », avant d'en être évacué le 1er juin 2015. Il publie sur le site de RFI un carnet photographique où, derrière la dureté des conditions de vie, pointent l'espoir et l'humanité. Interrogé par Christophe Champin, il revient sur la manière dont il a travaillé au quotidien avec les habitants du camp.

Comment avez-vous débuté ce travail sur les migrants de La Chapelle ?

Habitant du quartier, j’étais très curieux et préoccupé de ce camp qui grossissait de jour en jour. Mon fils me conseille alors de lire Eldorado de Laurent Gaudé qu’il venait d’étudier au lycée. C’est là que se fait le déclic et que je décide de m’approcher d’eux.
A ce moment, il n’y avait presque pas de tentes, les migrants dormaient par terre ou sur des vieux matelas. La majorité d’entre eux venaient du Soudan (comme un des personnages du roman de Laurent Godé). Je me suis tout de suite senti bien avec eux et j’ai décidé de revenir avec un thermos de café.

De quelle manière les habitants du « camp Courbi » ont-ils accueilli un photographe au quotidien ?

Je suis allé les voir presque tous les jours avec du café, du thé et autres nécessaires à vivre, c’est de cette manière que le contact s’est créé. Je leur ai dit que j’étais photographe. Mais ce n’est qu’au bout d’un mois que j’ai sorti un appareil photo.
La plupart des migrants ne veulent pas être photographiés. Certains craignent pour leur sécurité et d’autres ne tiennent pas à ce que leur famille les voie dans le dénuement.
Je me suis donc contenté de photographier ceux qui me le demandaient. Puis, très vite, je revenais avec une enveloppe pleine de tirages 10x15 que je leur distribuais. Heureux de l’image que ces photos renvoyaient d’eux-mêmes, j’étais de plus en plus sollicité, bien que certains restaient encore méfiants quant à la sincérité de ma démarche.

Vous vous êtes donc rendu tous les jours sur place pendant 8 mois ?

Oui. Comme je viens de le dire, j’y suis passé presque tous les jours. Au début, pour aider des personnes dans le besoin et puis, très vite, pour aller visiter ces personnes qui sont devenues réellement mes amis et qui m’apportaient autant que je leur apportais.

Les images que vous montrez tranchent avec le côté dramatique de la situation de ces populations qui ont vécu sous la tente pendant des mois, souvent dans le froid et l'humidité, ou des conditions d'hygiène très difficiles. Pourquoi ce choix ?

Je ne pense pas que ce soit un choix, c’est plutôt une perception « naïve » de la pauvreté. Ce qui me frappe dans la pauvreté, c’est la beauté des gens, leur dignité, leur solidarité, leur bonté et leur capacité à rire malgré les circonstances.

Je fais de la photo de rue depuis presque 25 ans dans les quartiers populaires de Paris, mais aussi dans des quartiers très pauvres d’Inde ou d’Afrique dans lesquels je ne photographie ni la laideur ni la misère. Je n’ai probablement pas un regard qui les plaint. Mes images représentent généralement des personnes élégantes, dignes et souriantes. Du coup, lorsqu’il m’arrivait de lire des articles sur le camp de Coubri décrivant les conditions de vie déplorables, je n’avais pas l’impression qu’il s’agissait du même endroit.

Au fil des mois, vous êtes presque devenu le photographe attitré des habitants. Vous avez même, me disiez-vous, réalisé des dizaines de photomatons pour eux...

C’est vrai qu’ils m’ont « adopté » et que j’étais un des seuls photographes à être accepté sur le camp. Souvent, ils me demandaient des photos d’identité pour compléter leurs formulaires administratifs. Alors, avec mes amis Zaccaria et Oumar, nous avons mis en place un petit studio - un grand drap, un tabouret et un miroir - et nous avons réalisé plus de 200 photomatons. C’est réellement à partir de ce moment que j’ai été accepté par tous.

Vous avez continué à suivre certains des migrants que vous avez côtoyés. Que sont-ils devenus depuis la fermeture du camp ?

Le matin de l’évacuation, un de mes amis de Coubri m’a téléphoné pour me dire que l’opération était en route. Je n’ai pu y assister que de loin. Plus tard, j’ai eu des nouvelles. Ceux dont j’étais le plus proche (Zaccaria, Oumar, Pirlo…) et dont j’avais le numéro de téléphone étaient à Marseille, Metz ou dans d’autres villes de province, dans des foyers, le temps qu’on examine leur dossier. Les autres, je les ai retrouvés petit à petit dans le quartier. Aujourd’hui, une partie d’entre eux squatte le petit square de La Chapelle et le reste est installé au parc Éole rue d’Aubervilliers, dans le même périmètre. Depuis l’évacuation violente et médiatisée de la rue Pajol, de nombreuses personnes les soutiennent. Associations, militants et riverains se succèdent pour les aider à remplir des formulaires de droits d’asile, leur distribuer à manger ou leur donner des cours de français.

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