RFI : Etiez-vous surpris que votre film Love, interdit aux moins de 18 ans, ait été choisi en sélection officielle du Festival de Cannes ?
Gaspar Noé : Je mourrais d’envie, mais je pensais que c’était impossible, vu qu’on avait commencé à tourner le film fin octobre. Et on était encore en train de tourner plein de séquences début février. J’ai jamais travaillé autant dans ma vie, avec des journées de travail de 20 à 23 heures, et cela depuis des mois. On a livré la copie un jour avant la projection [en séance de minuit dans le Grand Théâtre Lumière, ndlr]. Lundi soir, je refaisais encore le générique du film… toute l’équipe n’a pas dormi. Pour ce genre de film, Cannes est de loin le meilleur festival du monde. Et je suis trop content de l’accueil dans la plus belle salle que j’ai jamais vue. De voir là son film en relief sur grand écran, c’est un spectacle que je ne voulais pas rater.
La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche, le choc charnel du Festival de Cannes en 2013, a-t-il ouvert les portes pour une projection en sélection officielle de ce genre de film qui montre des scènes de sexe d’une manière appuyées ?
J’adore La Vie d’Adèle, j’étais super ému. Le film m’avait fait beaucoup pleurer. Mais j’avais déjà bien avant mon projet en tête qui était un projet hétérosexuel. Après, tout le film s’est fait en urgence. Même le fait que le film soit en 3D, je l’avais appris dix jours avant de commencer à tourner. C’est un film à petit budget, même s’il a l’air cher, parce qu’il est en anglais et en 3D, mais il a coûté des cacahouètes. J’avais la chance de tomber sur des comédiens qui sont super bien…
Et qui n’ont pas peur…
Je pense qu’ils ne se sont pas du tout posé la question de carrière. Fin juin, ils ont dit : ah, faire un film, c’est une expérience drôle, etc. Il y avait une ambiance festive pendant le tournage. Karl [Glusman qui joue le rôle de Murphy, ndlr] a peut-être un plan de carrière, mais ce n’était pas du tout le cas des filles [Aomi Muyock qui campe le rôle d’Electra et Klara Kristin qui interprète Omi, ndlr]. Rien que de faire ce film était un aboutissement. Le tournage s’est fait dans l’urgence. C’était peut-être épuisant, mais cela s’est fait dans la joie. Et les choses qui se font dans la joie dégagent une autre énergie que celles faites dans la douleur.
Filmer le sexe en mode direct et amoureux, avec tous ses excès physiques et émotionnels, en 3D, et de le présenter après dans un Festival si prestigieux. Est-ce que vous avez le sentiment d’être le premier ?
C’est vrai, le mélange de ce genre de film, en 3D, au Festival de Cannes, moi, je ne l’avais pas vu jusqu’ici. En tous cas, je suis super heureux que le film ait été sélectionné à Cannes. C’était risqué de la part de Thierry Frémaux [le délégué général du Festival, ndlr] de le sélectionner, parce qu’il ne l’avait vu qu’une semaine après l’annonce officielle du film quand le film était en tout premier montage. C’était comme s’il me disait : vas-y, je prends le risque, fonce. Et j’étais très content que mon père ait pu venir pour voir mon film.
Un midi, par hasard, j’ai vu le père de mon meilleur ami d’enfance, Fernando Solanas, qui joue un peu le rôle de mentor pour moi [en 1985, Gaspar Noé a été l’assistant du réalisateur argentin pour son film Tangos, l’exil de Gardel, ndlr]. Il ne savait même pas que j’avais tourné un film. D’avoir mon père et Fernando Solanas derrière moi, c’était trop le bonheur pour moi.
Dans Love, il y a une scène de sexe avec une danse de trois langues qui s’entremêlent et se découvrent. Pour cette chorégraphie, est-ce que vous vous êtes inspiré par des pièces de danse comme Körper de la chorégraphe allemande Sasha Waltz ou Révolution du chorégraphe français Olivier Dubois qui explorent aussi les corps nus ? Est-ce que vous avez le sentiment qu’avec tout le virtuel qui nous entoure, il y a aujourd’hui une autre façon de découvrir le corps ?
Pour moi, la question se pose plutôt à l’envers. Il y a des choses qui se font dans la vie et qui sont mal représentées dans le cinéma. Dans mon film, il n’y a rien qui est choquant. C’est vrai, cela n’arrive pas à tout le monde d’avoir des nuits d’amour à trois, mais quand cela arrive, je pense que cela ressemble à ça. C’est la manière comment cela est représenté, d’avoir des morceaux de musique qui sont très bien. A la fin, le résultat est doux. Je n’ai pas du tout fait le film pour faire de la provocation. J’ai fait le film, parce que j’avais envie de voir un film comme celui là. Et la vie est aussi ça.
Le « Love Hotel » coloré et en plastique qui trône dans le film à côté du lit, est-ce une allusion pour signifier que l’amour dure toujours seulement un certain temps ?
Non, le Love Hotel est surtout une citation. C’est la maquette qu’on avait utilisé dans le film précédent [Enter the Void, 2009, ndlr]. Le film n’est pas ma vie, mais c’est la vie de mes amis, des gens que je connais. Il y a aussi des tableaux de mon père dans Love et j’utilise plein de nom de gens que je connais ou qui me sont proches. Je fais des films sur des choses que je connais, sur des personnages qui me sont familiers.
On entend Bach, Pink Floyd, Satie… Est-ce que la musique a précédé les scènes ou l’envers ?
Il y a même la musique de John Carpenter… Quand j’ai tourné le film, je n’avais aucune musique en tête. Toutes les musiques sont venues en salle de montage.
« Love make people bright ». « L’amour rend les gens lumineux » affirme Elektra dans le film. Est-ce que le film Love vous a rendu plus heureux et intelligent ?
Je ne sais pas, c’est trop frais. En général, on dit que l’amour rend aveugle et con. Que quand ce processus chimique intérieur se met en place, on devient comme un junkie, le cerveau ne fonctionne plus pareille. Il y a des mécanismes où l’objet du désir est lumière et rien d’autre que lumière. Et dans la tête de celui qui est amoureux, c’est une lumière parfaite.
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