Alain Cavalier est un poète. Et comme il croit encore plus à la magie des salles obscures qu’à celui de la Bible - qu'il citera souvent - il se sert de sa petite caméra HD pour accoucher ses « mots » et cerner le paradis. À 83 ans, il a l'âge et visiblement aussi le recul nécessaire pour aller à l'essentiel. Pour y arriver, il emprunte des voies magiques. Le tout raconté modestement à la première personne et en citant (ou se mettant à la place ?) des Dieux : « Je suis la vie ».
Dans Un étrange voyage (prix Louis-Delluc 1981), il filma sa fille raconter sa vie. Dans Thérèse (prix du Jury au Festival de Cannes 1986), il perça l’énigme de la sainteté. Dans Le Paradis, le réalisa-rêveur regarde lui-même le mystère, tantôt avec l'œil d'un enfant tantôt comme un sage se baladant dans la nature. Un petit paon-poussin fait ses premiers pas dans l'herbe ? Cavalier tourne autour comme une maman poule soucieuse de protéger le don de la vie. L'homme du cinéma s'extasie aussi bien devant la beauté d'un arbre qui pousse et étale ses racines dignes d'une œuvre d'art que devant les paroles d'une petite fille ou le visage d'une belle femme minutieusement parcouru comme si c’était la Joconde.
La vie est un cadeau tellement grand que toutes les philosophies récitées dans le film restent ébahies par la dimension spirituelle. Et la caméra cherche à entendre et rendre visible la parole divine parsemée dans la nature des choses et des êtres. Sans oublier d’y mettre son charme particulier. Dans le panthéon du réalisateur, le petit canard en plastique se situe au même rang que la statue d'une déesse égyptienne millénaire, le clou rouillé trempé dans du Coca-Cola fait jeu égal avec les montagnes enneigées plongées dans la lumière rose. Un petit robot rouge incarne Ulysse, une chouette fait semblant d’être la déesse Athéna. Cavalier nous fait partager sa certitude inébranlable que la lumière intérieure se trouve aussi bien dans l’interprétation des textes sacrés que dans la dégustation d'un rollmops acheté au Monoprix. Le soin et l’attention apportés à la tombe d'un petit oiseau, fabriquée avec un silex cloué contre un arbre, sont à la hauteur de la finesse et profondeur du propos cinématographique.
Cavalier raconte, murmure, souffle sur les braises de son intuition, estime d'avoir « eu la chance de traverser deux mini dépressions de bonheur » et qu'il attend, « tout à fait serein, la troisième ». Avec ce film, Cavalier a croqué la pomme et nous fait goûter aux délices des joies simples, universelles et éternelles. Signe infaillible qu'on est bien entrés avec lui au paradis.