« L’innovation est un art ». Voilà le fil rouge qui a réuni un jeudi soir, en juin, des créatifs dans un nouveau lieu pour la création numérique de la capitale française, le Numa. Un « Silicon Sentier », ouvert en novembre 2013 et dédié à l’innovation qui invite à la fois le « co-working », des start-up, des objets sonores et d’objets connectés. C’est ici que des artistes, des développeurs et des entrepreneurs se sont creusé la tête pour décrypter la relation complexe entre art numérique et industrie.
« Les industries culturelles sont de plus en plus connectées dans des réseaux fluides » martèle sur skype, en direct de Milan, Marco Mancuso, fondateur et directeur de Digicult, un réseau international qui analyse l’impact des technologies et des sciences numériques sur l’art. Mancuso, qui a largement contribué au numéro spécial de MCD sur l’art et l’industrie, appelle de ses vœux l’émergence de nouvelles « classes créatives » qui « ne sont pas forcément institutionnalisées ». Dans un monde de plus en plus dominé par les nouvelles technologies et les réseaux, de plus en plus caractérisé par la disparition des frontières traditionnelles entre les disciplines, il y a une question qui s’impose pour Marco Mancuso : « Nous devons comprendre comment les paradigmes de création d’un objet artistique et culturel sont en train de changer, quel est l’impact de leur relation avec les entreprises et le marché… ».
Quand le X Media Lab parle aux artistes
Le mot clé de Brendan Harkin s'appelle « réseau à haute valeur ajoutée». Depuis dix ans, le directeur du X Media Lab, qui n’affiche plus d’adresse physique sur sa carte de visite, crée dans le monde entier des lieux de rencontre pour faciliter aux entrepreneurs et acteurs créatifs la mise sur le marché de leurs projets et idées. « On veut relier les incubateurs comme La Gaîté Lyrique ou Arts et Métiers avec des universités, des start-up et des entrepreneurs et le marché global des médias numériques. On essaie de créer de nouvelles formes durables sans faire appel à l’argent public qui existe de moins en moins. » Après Transmedia en Suisse, The Wealth of Animation en Chine ou Serious Games à Singapour, il est actuellement en train de relier les Arts et Métiers à Paris avec le College of Fine Arts à Sydney et le Central Academy of Fine Arts à Pékin pour faire naître des start-up et du business. « Tout le monde veut avoir de l’innovation : les gouvernements, le monde des affaires, l’économie. Alors parlons-en aux artistes ! ».
Pia Myrvold a compris depuis longtemps sa valeur en tant qu’artiste auprès de l’industrie. À l’origine peintre, la Norvégienne a fait du croisement des techniques « traditionnelles » et des nouvelles technologies sa spécialité. Depuis les années 1980, elle est intervenue dans pleins de domaines artistiques différents : de Dada Memory, la première collection de vêtements interactifs en 1996, jusqu’à l’étonnante Video Spiral, installation sculpturale faite de 32 écrans LED et présentée à la Biennale de Venise en 2011, elle a réussi à se faire reconnaître comme pionnière et à se faire payer au juste prix.
Myrvold conçoit le partenariat entre un artiste et des mastodontes du privé (IBM, Lancôme, Peugeot...) résolument sur un pied d’égalité. Sans états d’âme, elle déclare : « Ces grandes entreprises ont les outils dont j’ai besoin » tout en récupérant la valeur ajoutée de sa vision particulière en tant qu’artiste. « Les artistes sont souvent très généreux, remarque Pia Myrvold. Ils adorent ce qu’ils font et veulent le partager avec tout le monde. Souvent ils ne réalisent pas à quel point leur travail a de la valeur et ô combien leur travail peut être utilisé dans d’autres domaines. L’industrie sait très bien comment l’utiliser et l’exploiter. Alors j’essaie de trouver la dialectique pour que les grandes entreprises pensent à me faire profiter de l’avantage qu’ils tirent de mon travail. Souvent ce processus n’est pas symétrique. Parfois, ils payent pour un événement, mais en même temps cela me permet de développer mon travail grâce à l’argent obtenu. »
Visiblement, ses collaborations avec les entreprises et l’industrie ne l’empêchent pas à avancer sur le plan artistique. En novembre 2014, le Centre Pompidou à Paris présentera ses nouvelles interfaces interactives sous le titre : Pia Myrvold Art Avatar.
Les « Innov'Acteurs »
Pour Emmanuel Mahé, directeur de la recherche de l’École nationale supérieure des arts décoratifs (ENSAD), la relation entre l’art et l’industrie a été bouleversée avec les nouvelles technologies, mais le rôle avant-gardiste est resté le même, à un détail près : les personnes concernées ne se résument plus aux artistes, mais à tous les « Innov'Acteurs ». « C’est un terme inventé il y a quelques années pour dire qu’un certain nombre d’acteurs sociaux qui n’avaient pas l’habitude d’intervenir dans des processus d’innovations, notamment dans des entreprises, sont entrés presque par infraction dans le monde de l’entreprise. Ces 'Innov'Acteurs', ce sont des artistes, des designers, mais aussi des gens ‘normaux’ qui participent à des processus de création dans le domaine de l’art digital ou de l’art numérique, par exemple, en lien avec des centres de recherche et développement », résume Mahé, également cofondateur d’une start-up spécialisée dans les relations arts et entreprises, Décalab.
Dans le numéro spécial Art/Industrie de MCD, il y a une multitude d’expériences très concrètes et très réussies à découvrir : de Pictanovo, la communauté de l’image en Nord-Pas-de-Calais, en passant par les #museogeeks du Centre Pompidou Virtuel ou le collectif anglais Marshmallow Laser Feast, jusqu’aux travaux hybrides d’Art+Com de Joachim Sauter, artiste et professeur à Berlin et Los Angeles, ou de l’architecte italien Carlo Ratti du Massachusetts Institute of Technology (MIT).
Lire aussi l’entretien avec Anne-Cécile Worms : «Les artistes n’ont plus peur des marques»
- MCD #74 : Art/Industrie, édition juin/juillet/août 2014, 116 pages, 9 euros.
- Digital Afrique: La création numérique en Afrique, rfi, 5/9/2013