Con la pata quebrada, traduit en français par « Retourne à tes fourneaux », est un film d’une brûlante actualité. La projection du documentaire, en ouverture du festival de cinéma espagnol Différent, a été l’occasion d'accueillir, aux côtés du réalisateur Diego Galan, Esther Garcia de la société El Deseo des frères Almodovar qui coproduit Con la pata. Elle est surtout venue montrer les premières images du film sur la marche des femmes espagnoles pour le droit à l’avortement. Film collectif réalisé par une vingtaine d'équipes en Espagne et ailleurs, Yo decido, el tren de la libertad sortira le 10 juillet sur les écrans au moment du débat sur le projet de loi au Parlement.
Droit à l'avortement: un retour de trente ans en arrière
Cette marche, partie le 1er février dernier des Asturies entendait mobiliser les Espagnols contre la réforme de l’avortement portée par le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy et notamment le ministre de la Justice, Alberto Ruiz Gallardon, avec le soutien des franges les plus conservatrices de l’Eglise catholique espagnole. Concrètement, il sera de nouveau extrêmement difficile pour une femme de se faire avorter, prédisent tous les spécialistes tant le nouveau texte, présenté en décembre dernier, est restrictif. Un retour de trente ans en arrière disent les femmes dans Yo Decido. Pour mémoire, l’avortement, interdit pendant toute la période franquiste, a été autorisé d'abord à partir de juillet 1985 pour raisons médicales, puis, en 2010, une nouvelle loi a libéralisé son champ d'application.
Le documentaire Con la pata quebrada de Diego Galan fait écho à ce débat. On peut y voir notamment un extrait du film Abortar en Londres, de Gil Carretero, qui date de 1977. Il raconte comment les Espagnoles porteuses d’enfants non désirés –dans le film il s’agit d’une jeune fille victime d’un viol- n’avaient le choix qu’entre aller avorter dans des cliniques britanniques ou subir des avortements clandestins. Ou encore Embarazados, une comédie de 1980.
Une sélection du cinéma populaire
Construit à partir d’extraits de 180 films et notamment de cinéma populaire, de celui qui nourrit pour le meilleur et pour le pire l’imaginaire et la culture de tout un peuple, le documentaire revisite toute l’histoire de l’Espagne contemporaine au prisme de son cinéma et de l’image de la femme dans le cinéma. Le choix de films populaires est clairement assumé par le réalisateur. Même s’il s’agit d’un film d’érudition cinématographique par l’abondance du matériel choisi, il ne s’agit pas de dresser un tableau exhaustif de la manière dont la femme était représentée dans le cinéma, mais bien de mettre en exergue des tendances, ou des travers comme une profonde misogynie, pour mieux les dénoncer parfois. Diego Galan a d’ailleurs réalisé une série sur La Mémoire du cinéma espagnol.
Le film est construit en grande partie chronologiquement. Un récit en voix off guide le spectateur au fil de l’actualité politique et sociale de l’Espagne et éclaire le montage, souvent virtuose. Il s’ouvre sur les années trente, avènement du cinéma parlant et de la Seconde République, qui fut également un âge d’or pour les droits des femmes espagnoles qui acquirent le droit de vote (1931), le droit de se marier hors de l’église et de divorcer, et même dans certaines régions, le droit d’avorter.
« Mujer casada y honrada, pata quebrada y en casa » dit le très machiste dicton populaire qui a donné son titre au film. Comment au fil des années, avec des hauts et des bas, la femme a peu à peu réussi à desserrer l’étreinte des contraintes sociales et morales et comment le cinéma l’a raconté, c’est le propos du film. Ces femmes dans le documentaire, ce sont Aurora Bautista, Sara Montiel, les comédiennes fétiche de Pedro Almodovar comme Carmen Maura ou encore les petites filles du film Nosotros somos asi réalisé en 1937 pour la société de production anarchiste SIE.
Le cinéma se déshabille
Emblématique Sara Montiel qui dans les dernières années d’un franquisme à bout de souffle et de censure, se dénudait peu à peu. C'était El destape. Permissivité autorisée après l’invasion sur les plages espagnoles de bikinis venus d’outre-Pyrénées. Clin d’œil du réalisateur aussi au libertinage échevelé qui suivit la mort du vieux dictateur lorsque les Espagnols, frustrés par la pudibonderie franquiste, se repaissaient de scènes de douche ! On rit, on s’émeut et on s’étonne aussi que le public ait pu se laisser séduire parfois par des messages de carton-pâte. Inoubliable baptême des Indiens dans Alba de America (1951) du très populaire réalisateur Juan de Orduña, sous le regard embué de fières et pieuses larmes de la très catholique Isabelle.
Le cinéma raconte aussi l’histoire d’un pays. On connaît mal le cinéma espagnol de l’ère franquiste et le quotidien de la société espagnole des années quarante-cinquante. De bonne épouse chrétienne confinée, jambe cassée ou non, à son foyer, la femme espagnole regagne le droit de vivre sa propre vie. Pour Diego Galan, l’une des révolutions que ce siècle a réussies, c’est celle de la femme. Mais l’histoire est faite d’allers et retours, le film le montre bien et l’actualité récente le confirme.
→ Différent ! L'autre cinéma espagnol, du 18 au 24 juin au cinéma Le Louxor à Paris : des films, des débats et des invités.
→ Diego Galan était l'invité de notre consoeur de la rédaction en langue espagnole de RFI, Maria Carolina Pina