Souvenez-vous de cette affiche aguicheuse placardée partout, en 2010, qui montrait le portrait de Pablo Picasso accompagné de grandes lettres en vert : « Je m’installe à Metz » ? Cette boutade pour attirer le grand public lors de l’ouverture du Centre Pompidou-Metz est aujourd’hui revenue au directeur. Aujourd’hui, cela serait à Laurent Le Bon d'affirmer : « Merci Picasso. Je m’installe à Paris ».
C’est presque une ironie de l’histoire que celui qui figure parmi ceux qui ont réussi le plus un projet de la délocalisation et décentralisation culturelle en France, revienne aujourd’hui à Paris, pour œuvrer à nouveau au cœur d’une politique artistique et culturelle centralisée. Depuis 2010, la direction et les expositions à succès orchestrées par Laurent Le Bon ont attiré plus de deux millions de visiteurs au Centre Pompidou-Metz et redynamisé toute une région. Aujourd’hui, il est appelé pour mener à bien la réouverture du musée Picasso, le temple du maître absolu de l’art moderne.
C’est la troisième fois en un an que Laurent Le Bon brigue un poste à Paris. Après sa candidature malheureuse pour la présidence du musée du Louvre, il avait également échoué à obtenir la direction du Musée national d’art moderne au Centre Pompidou-Paris.
Jusque-là, il avait fait un parcours sans faute. Avec ses lunettes bien mises en évidence et ses cheveux drapés, il avait longtemps l’air d’un premier de la classe qui porte des costumes trop grands. Mais derrière ce regard souvent moqueur se cache l’un des plus brillants commissaires d’exposition en France.
Dada et Jeff Koons
Né le 2 avril 1969 à Neuilly-sur-Seine, il est diplômé de Sciences-Po à Paris, de l’École du Louvre et de l’École nationale du patrimoine, Laurent Le Bon est l’auteur d’une cinquantaine de publications. Après avoir gagné l’estime de sa profession en tant que responsable de la commande publique à la délégation aux arts plastiques, il entre en 2000 dans le plus grand centre d’art contemporain en Europe, le Centre Pompidou. C’est là qu’il montrera toutes ses qualités en tant que commissaire d’exposition, notamment avec le succès tonitruant de Dada en 2005. Mais c’est en tant que commissaire invité au Château de Versailles qu’il déploiera toutes les facettes de son acuité intellectuelle et de son goût pour la provocation. En 2008, sa décision d’y présenter des œuvres de Jeff Koons même dans la galerie des Glaces suscitera des débats acharnés dans le milieu culturel et politique que Le Bon n’hésitait pas à prolonger avec Xavier Veilhan (2009) et Takashi Murakami (2010).
Co-auteur d’un Dictionnaire des politiques culturelles de la France depuis 1959, publié en 2001, il réussira l’exploit d’être à la fois adoubé par la gauche et la droite. De 2009 à 2011, il est membre du très contesté Conseil de la création artistique fondé par le président Nicolas Sarkozy avant d’être nommé par Bertrand Delanoë directeur artistique pour l’édition 2012 de la Nuit Blanche.
Au musée Picasso, il aura pour la première fois la responsabilité de diriger une collection. Et quelle collection ! 5 000 œuvres de Pablo Picasso qui, après les travaux de 52 millions d’euros, occuperont désormais une surface plus que doublée avec 3 800 mètres carrés. Avec l’exposition inaugurale Chefs d’œuvre ?, Laurent Le Bon avait réussi en 2010 son pari au Centre Pompidou-Metz. En tant que président du musée Picasso, on attend avec beaucoup d’impatience où il mettra cette fois-ci son point d’interrogation.
« Comme un imposteur »
Claude Picasso, le fils du peintre et membre du Conseil d’Administration du musée, a été choqué par l’éviction d’Anne Baldassari, accusée d’avoir provoqué parmi le personnel une « profonde souffrance au travail ». Avant la nomination de Laurent Le Bon, Claude Picasso avait même déclaré qu’il considérerait le successeur « comme un imposteur ». Entretemps, la présidente chassée reste visiblement révoltée après avoir été dépossédée de l’œuvre de sa vie. C’est Baldassari qui avait eu l’idée de financer une grande partie de la rénovation avec un tour du monde d’œuvres de Picasso pendant les cinq ans de fermeture du musée. Et en tant qu’une des meilleures spécialistes de l’œuvre du maître et au nom du droit d’auteur, elle a fait savoir qu’elle n’acceptera pas que son plan d’accrochage de la collection soit utilisé pour la réouverture du musée. Ainsi, Laurent Le Bon se retrouve certes actuellement à la tête d’un musée fermé et en crise, mais avec l’occasion inouïe de donner vie à un Picasso à sa façon.