Cinéma : Gloria, à la rencontre des femmes chiliennes

Gloria c’est une chanson qui a fait danser la planète entière au début des années 80, c’était la Gloria de John Cassavetes et désormais, c’est la Santiagueña de Sebastián Lelio. Le réalisateur chilien rend hommage aux femmes de la génération de sa mère et raconte, d’une caméra très bienveillante, la quête du bonheur d’une femme «normale».

Nous sommes à Santiago, dans une ville moderne d’immeubles et de bureaux. Gloria travaille, fait du yoga, découvre que ses enfants n’ont plus besoin d’elle, qu’ils ont fini de grandir et deviennent parents à leur tour. Elle danse aussi, beaucoup, et rencontre dans un club Rodolfo. Ce qui les lie tous les deux c’est d’abord le plaisir : le plaisir de la danse, le désir amoureux. Il n’est plus si rare de filmer des corps vieillissants dans l’intimité de l’amour, mais, au Chili, dans une société socialement conservatrice, Sebastián Lelio, dont c’est le quatrième long-métrage, s’y risque. C’est que, nuance le cinéaste, la société chilienne est aussi parcourue de tensions, elle s’ouvre, se libère. Comme pour illustrer ce propos, Michelle Bachelet, qui revient à la présidence du Chili en mars, a nommé à la tête du ministère en charge du droit des femmes, une communiste, ancienne conseillère municipale de Santiago, Claudia Pascual. La preuve en est aussi que, selon Sebastián Lelio, les quinquagénaires chiliennes se revendiquent désormais comme des « Glorias ».

C’est que Gloria, divorcée assumée, fait l’amour et la fête, boit et fume des joints de haschich « emprunté » à un voisin. Les lendemains de noce et les réveils de la passion sont parfois difficiles, mais Gloria assume sa vie avec vaillance, entre rire (beaucoup) et larmes (beaucoup aussi) derrière ses grandes lunettes façon Tootsie, le personnage de Dustin Hoffman. L’actrice, par ailleurs scénariste et réalisatrice, Paulina Garcia, porte cette chronique douce-amère sur ses épaules. Sebastián Lelio confesse son admiration pour son interprète, récompensée d’ailleurs au Festival de Berlin en février 2013. La caméra ne la lâche pas, ne nous épargnant ni ses rides ni ses colères ni son rire à croquer la vie.

Les hommes à ses côtés paraissent bien falots et le réalisateur lance quelques coups de griffes en réglant au passage ses comptes avec l’histoire la plus sombre du pays, celle de la dictature militaire. Les hommes, les « vieux » de la génération de Gloria sont traités d’une façon presque « documentaire » dit Sebastián Lelio. L’amoureux de Gloria, Rodolfo –interprété par un acteur de télévision connu- est un retraité de la marine qui a du mal à reconnaître son passé militaire et à assumer leur relation et sa vie tout court ; son ex-mari un alcoolique sentimental qui n’était pas là au moment où il le fallait ; ces hommes encore qui jouent à la guerre dans le parc d’attractions de Rodolfo ; seul le fils tire son épingle du jeu comme s’il appartenait à une génération « vierge ».

Le contexte politique ne se lit qu’en creux. On aperçoit des manifestants, des étudiants qui se battent pour la gratuité de l’éducation depuis trois ans. La cherté de la vie nourrit les conversations entre amis autour d’une bouteille de bon vin. Mais le Chili et plus particulièrement sa capitale, Santiago, est partout. La ville et ses gratte-ciel sont en toile de fond des fréquents voyages en voiture de Gloria. Sa musique et sa langue aussi puisque les dialogues, notamment ceux entre les deux principaux protagonistes du film, sont très largement improvisés. Le local permet d’atteindre l’universel déclare le réalisateur -y compris l’universel du cinéma grâce à quelques clins d’œil à des classiques comme Mort à Venise ou 2001 L'Odyssée de l’espace -. Et la femme urbaine de cinquante ans qui revendique le droit de vivre sa vie comme elle l’entend, si elle est peu fréquemment un personnage de film, elle est clairement universelle. Le film, qui sort ce mercredi sur les écrans français, s’ouvre sur une Gloria séductrice en chasse de l’âme sœur. Il s’achève sur une femme complètement libérée qui s’abandonne sur le tube d’Umberto Tozzi.

► Gloria est aussi à la Une du Rendez-vous Culture de ce mercredi

Partager :