Un beau matin, Jean-Christophe Rufin a quitté à pied Hendaye, petite ville côtière du Pays basque français, à destination de Saint-Jacques-de-Compostelle. Sans rien dire, en silence, il a emprunté le chemin du Nord, le plus dur et le moins fréquenté par les pèlerins. Plus de 800 kilomètres de périple, de belles rencontres. Un récit passionnant parti d’une simple envie de faire le point, de respirer, de sortir des sentiers battus. Au bout de la route, il y a un livre, Immortelle randonnée, Compostelle malgré moi, vendu à 160 000 exemplaires dès les trois premières semaines de sa publication. Un incroyable succès pour Guérin, une petite maison d’édition de Chamonix.
Une réussite d’autant plus étonnante que Jean-Christophe Rufin n’avait aucunement prévu d’écrire un livre. « Je n’ai pris aucune note », annonce-t-il tout de go avant d’ajouter : « Je suis le premier étonné, je l’ai fait essentiellement pour rendre service à un petit éditeur. L’idée est venue ainsi, c’est eux qui me l’ont proposé. Cela faisait longtemps que je leur avais dit que je ferais un livre pour leur maison d’édition. J’ai fait ça et puis voilà... » Son ouvrage caracole en tête des ventes.
Le succès d'un livre, un chemin mystérieux
Avec un certain détachement comme s’il parlait du succès d’un autre, Jean-Christophe Rufin ajoute : « Y a un truc pour les livres, on ne peut pas savoir pourquoi ça marche. Même si j’ai quand même accumulé un fond de fidèles qui me suivent, ça me fait plaisir d’ailleurs. Quel que soit le sujet que je leur propose, ils sont là. Ça fait une base puis au-delà c’est le mystère. »
Pourtant l’auteur de Katiba, un autre grand succès de librairie trouve un début d’explication à ce succès phénoménal : « Compostelle, c’est l’aventure au coin de la rue. Compostelle, vous descendez. Vous partez de chez vous. Les gens s’identifient. C’est l’aventure à la portée de tous, au moins dans le fantasme. Même si tout le monde ne va pas le faire, tout le monde se voit le faire. Alors que la cabane de Tesson par moins 30° au Baïkal (Dans les forêts de Sibérie de Sylvain Tesson Ed. Gallimard), on peut en rêver, mais la plupart des gens diront : je ne peux pas le faire. »
Observateur attentif de la société française, Rufin constate aussi cette envie de départ : « La France est un pays que les gens commencent à quitter. Les étudiants qui vont travailler ailleurs, les exilés fiscaux. Quelle que soit la façon dont ça se passe, il ne faut pas forcément s’en réjouir, il y a tout de même cette idée de partir. Ensuite partir où et comment ? Là, ça se double d’un minimalisme séduisant parce que vous n’avez besoin de rien. Pas besoin d’argent, pas besoin de force physique, c’est une totale liberté d’aller où vous voulez et en même temps vous êtes guidé parce qu’il y a cette notion du balisage, c’est un chemin balisé. »
Ecrivain, voyageur, ambassadeur, autant de chemins de traverse
Pourtant, et c’est l’un des charmes de son récit, l’écrivain voyageur nous invite aussi à emprunter les chemins de traverse, quitte à s’égarer et à se disputer avec son épouse qui l’avait rejoint sur la dernière étape. Rufin l’admet bien volontiers, il a toujours adoré sortir des sentiers battus, même s’il faut par la suite affronter des mers agitées.
« J’étais sur un sentier très balisé jusqu’à mes vingt-cinq ans, explique-t-il. Quand j’ai passé l’internat j’étais vraiment sur une voie royale, toute tracée pour devenir professeur de médecine, en tout cas pour faire une carrière médicale et puis à partir du moment où j’ai quitté cette voie, là il n’y avait plus de chemin », explique Jean-Christophe Rufin, qui ajoute : « Il se trouve que cela s’est plutôt bien engagé, mais pas toujours. Il y a eu des moments de vaches très maigres où je n’avais rien. J’ai eu la chance de découvrir à la fois un goût et un don pour écrire, trouver des lecteurs. Ça m’a permis de recréer un chemin dans l’absence de chemin, mais il est vrai que je n’ai pas de chemin balisé. »
Ce goût du hors-pistes, Rufin en a-t-il abusé lorsqu’il était ambassadeur de France à Dakar ? « Je n’ai donné des interviews et dit ce que je pensais qu’au bout de trois ans. Je suis resté plus longtemps que ne l’avaient fait mes prédécesseurs. Donc, en fait, l’obligation de réserve je l’ai assumée pleinement », plaide l’ex-diplomate qui s’était interrogé sur la gestion des deniers publics par le régime Wade. Aujourd’hui, Karim Wade, le fils de l’ex-président est en prison. La justice sénégalaise s’interroge sur l’origine d’une fortune qu’elle estime à près d’un milliard d’euros. Jean-Christophe Rufin se garde bien d’émettre des jugements.
Il préfère revenir à des réflexions sur l’art d’écrire : « Dans le domaine littéraire, le fait d’être en avance (sur son temps) est plutôt récompensé. Dans celui de la politique ou de la diplomatie en revanche, c’est une vraie connerie. Il ne faut surtout pas faire ça, il faut surtout rester collé au présent, c’est pour ça qu’aujourd’hui je suis redevenu prudemment un écrivain », estime Rufin, qui se dit qu’un jour il reprendra son bâton de pèlerin. Sa passion pour l’Afrique reste intacte. Un jour, c’est certain, il reprendra la route. Ses pas le porteront bien au-delà de Saint-Jacques. Bien plus au Sud, c’est sûr.