RFI : La catastrophe de Tchernobyl a eu lieu le 26 avril 1986. Et c’est à ce jour, toujours le plus grave accident nucléaire de l’histoire. Est-ce que c’était indispensable de tourner dans la zone interdite pour faire ce film ?
Michale Boganim : Oui. Le principe du film, c’était de tourner dans la zone. C’est à partir d’une visite que j’ai effectuée dans la zone que j’ai eu envie de faire ce film. Et pour moi, toute cette fiction que j‘ai construite se tournait dans la zone interdite. Il était hors de question de faire une reconstitution car ce qui m’intéressait justement, c’était de capter ce lieu à travers des histoires individuelles, et de montrer ce lieu qui est incroyable et qui est éminemment cinématographique, un lieu figé dans le temps. Je rappelle ce que c’est la zone interdite : c’est quand même une ville de 50 000 habitants qui a été évacuée du jour au lendemain et qui est restée figée dans le temps. C’est un lieu assez incroyable.
RFI : Votre film raconte la veille de la catastrophe et 10 ans après. Vous ne nous montrez rien de la centrale et de l’accident, juste des ciels qui sont très chargés, et la pluie. Il pleut beaucoup ce jour-là ?
M.B. : Pendant ces trois jours en effet, il y a eu des pluies suite à la radioactivité. Et c’est ça d’ailleurs qui a fixé la radioactivité dans le sol. Ce sont ces pluies noires. Le film se situe en 1986, trois jours pendant la catastrophe et dix ans plus tard. Pendant ces trois jours, ce qu’il faut savoir, c’est que la population n’a rien su. Il y a eu un mensonge d’Etat : on ne leur a rien dit. Et la radioactivité étant invisible, personne n’a compris ce qui se passait. Ce qui m’intéressait justement, à travers cette fiction dans cette première partie, c’était de m’attacher à des destins individuels, d’être de leur point de vue et de montrer comment ils n’ont rien su et d’être dans les non-dits dans cette première partie.
RFI : Votre héroïne principale, Anya, vient de se marier le jour de la catastrophe. Avant Tchernobyl, est-ce le bonheur ?
M.B. : Il faut savoir qu’il y a eu 16 mariages le jour de la catastrophe pendant que ça se passait. Comme c’était invisible, les gens continuaient à être dehors, à pique-niquer etc.… C’est cela qui est extrêmement dramatique, c’est-à-dire que je n’avais pas besoin en plus de montrer des images parce que tout le monde sait ce que c’est Tchernobyl. Je montre un point de vue très différent, c’est-à-dire l’invisibilité de cette catastrophe, comment justement les gens pendant trois jours ont vécu totalement normalement… alors qu’il y avait une catastrophe qui se passait.
RFI : Le mari d’Anya est appelé pour éteindre un incendie dit-on, et en fait il va mourir dans la catastrophe. Il va être irradié. Dans la seconde partie du film, vous la retrouvez dix ans après, elle est devenue guide touristique dans la compagnie Tchernobyl Tour, car, oui, il y a des touristes à Tchernobyl. Pourquoi votre héroïne n’est pas partie ? C’est l’un des thèmes de votre film.
M.B. : Le film, au delà de la catastrophe, parle de cet attachement à la terre et de cette impossibilité d’exil. Evidemment, il y a une histoire très forte. Cette tragédie les rattache aussi à un lieu, c’est-à-dire que c’est un lieu empoisonné mais justement tous ces personnages dans ce film sont rattachés à ce lieu empoisonné. C’est un peu le paradoxe. On a du mal à comprendre : pourquoi il y a des gens qui reviennent dans la zone habitée, dans un lieu empoisonné ? Il y a un attachement très fortà la terre bien qu’elle soit empoisonnée. C’est ça aussi le sujet du film.