La version officielle du gouvernement soudanais corrobore que les six journaux ont été interdits pour une raison simple : après la déclaration de l’indépendance du Soudan du Sud le 9 juillet, les propriétaires des journaux n’étaient plus à cent pour cent citoyens du Soudan, comme l’exige la loi soudanaise sur la presse, d’où l’ordre de retirer leur licence. Le populaire quotidien d’expression arabe Ajras Al-Hurriya (Les cloches de la liberté) figure parmi les journaux désormais interdits. Interrogé par l’AFP, Hussein Saad, son directeur général, assure avec force qu’il s’agit d’une censure pour des raisons politiques : « C’est parce que le journal est proche du Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM) et de l’opposition… Les forces de sécurité ont souvent empêché la distribution de l’Ajras Al-Hurriya. C’est arrivé neuf fois cette année. ».
Mettre sous silence les médias
Depuis des mois, il y a une crainte que les forces de sécurité soudanaises veulent mettre encore plus sous silence les médias. D’autres journalistes, qui préfèrent rester anonymes, ont expliqué que la loi sur la nationalité, qui prive de la citoyenneté soudanaise les sudistes habitant dans le Nord, a été adoptée après la sécession et sans avertissement. Tous les journaux interdits (le quotidien arabophone Ajras Al-Hurriya et les anglophones Khartoum Monitor, Juba Post, Sudan Tribune, The Advocate, The Democrat) avaient des liens privilégiés avec le Sud.
Il y a un an, le 7 août 2010, le gouvernement soudanais avait annoncé la levée de la pré-censure sur les journaux soudanais. Une déclaration qui avait laissé sceptiques les observateurs internationaux parce que le directeur général de la sécurité nationale avait en même moment rappelé que chaque journaliste devait prendre ses responsabilités et devait s’autocensurer sur les questions pouvant menacer l’unité nationale. En effet, la liberté de presse a continué à se dégrader sérieusement au Soudan. Le pays a été classé 135e sur 178 en 2008, 148e en 2009 et 172e en 2010 selon le classement mondial publié par l’organisation Reporters sans frontières. RSF déplore depuis des mois l’arrestation et le harcèlement juridique des journalistes pour les empêcher d’enquêter sur les violations des droits de l’homme par les forces de sécurité.
Le cas Safiya Ishag
Le point de départ de la nouvelle aggravation a été la déclaration de la militante des droits de l’homme, Safiya Ishag. Dans ces vidéos postées sur internet, elle affirme avoir été torturée et violée à plusieurs reprises par trois responsables des forces de sécurité, après son arrestation à Khartoum en février. Depuis, une dizaine de journalistes et de collaborateurs qui ont traité ce sujet ont été envoyés devant la justice. Ils peuvent être poursuivis en vertu de l’article 66 du Code pénal (1991) qui condamne la publication de fausses informations, et des articles 24 et 26 du Press Act (1999) concernant la diffamation à l’encontre des membres du National Intelligence and Security Services (NISS). Quant aux membres des forces de sécurité, ils sont protégés par le National Security Act.
Bâilloner la presse
Derniers exemples illustrant la volonté des autorités soudanaises de museler la presse et de limiter la liberté d’expression dans ce pays de 32 millions d’habitants : le 25 juillet, la journaliste Amal Habani, du quotidien al-Jarida, a été emprisonnée après avoir refusé de payer une amende de 2 000 livres soudanaises. Elle n’a été libérée que deux jours après, grâce au versement de la somme par ses collègues journalistiques. Son rédacteur en chef, Saadeldin Ibrahim, a été condamné par la Cour de presse à Khartoum à verser 5 000 livres soudanaises. Tous les deux ont été accusés de publication de fausses nouvelles et d’avoir violé le code de l’Ethique après avoir dénoncé les violences commises contre la militante des droits de l’homme Safia Ishag. Pour les mêmes raisons, cinq autres journalistes sont en attente de leur jugement.
- Le classement mondial de la liberté de presse de l’organisation Reporters sans frontières
- Liste des médias au Soudan (en anglais)