RFI : Le documentaire Alpha Blondy, un combat pour la liberté sur le parcours artistique du roi du reggae africain a été annoncé comme un des films phares du festival Ciné droit libre. Comment se sont déroulés la projection et le débat qui ont suivi ?
Abdoulaye Diallo : La projection a eu lieu dans deux cités universitaires à Ouaga. Il y avait presque des émeutes pour voir le film. C’était passionnant. Tous les habitants des cités universitaires sont sortis pour regarder le film. C’était quelque chose de fort. Après, il y avait un débat au Centre culturel français, animé par MC Claver, l’un des chefs de file des mouvements rap en Côte d’Ivoire, qui est venu au Burkina Faso et aussi par Jean Marc Guirandou, qui est un des grands du showbiz de la Côte d’Ivoire.
RFI : Etait-ce un débat sur la musique, sur la vie, sur l’engagement politique ou le combat de la liberté d’Alpha Blondy ?
A.D. : C’est un tout. Les gens ont surtout apprécié la qualité du film. Le documentaire a été très bien fait. Il y a des images inédites. J’étais très content de voir Alpha Blondy dans tous ses états.
C’est ce côté qui fascine les gens. Alpha Blondy est un tout : la musique, l’engagement et tout ce qui est autour de lui. Alpha Blondy, c’est un mythe. Nous sommes aussi la génération Alpha Blondy, parce que lui et Thomas Sankara [qui incarna et dirigea la révolution burkinabè jusqu’à son assassinat en 1987, ndlr] sont apparus au même moment et ils ont eu une influence considérable sur la jeunesse ivoirienne et africaine.
RFI : Alpha Blondy, c’est le combat d’un Ivoirien. En quoi cela parle aux Burkinabè et aux Africains ?
A.D. : Alpha Blondy, ce n’est pas le combat d’un Ivoirien. C’est le combat d’un Africain ! Il a chanté toute l’Afrique ! C’est le combat pour toute l’Afrique. Cela concerne tout le monde. Et tout ce qui concerne la Côte d’Ivoire concerne aussi le Burkina Faso. Ces deux pays sont tellement liés qu’il est difficile de dire qu’il y a une idée qui concerne uniquement un pays. Toute action de sensibilisation pour les Ivoiriens est également valable pour les Burkinabè.
RFI : Ce film qui retrace la vie combative, politique et engagée d’Alpha Blondy est-il représentatif pour le festival Ciné droit libre ?
A.D. : Absolument. Le festival présente un cinéma qui est droit et libre. C’est un cinéma qui défend la liberté d’expression, où il n’y a pas de sujet tabou. Pour cela, nous avons invité cette année des grandes gueules comme le rappeur sénégalais Didier Awadi, le rappeur ivoirien Billy Billy ou Smokey, du Burkina Faso.
RFI : Vous avez aussi projeté Bayiri, la patrie, du cinéaste burkinabè Saint-Pierre Yaméogo, qui parle des causes profondes de la crise ivoirienne. Quel est le rôle d’un film ou d’un festival face à une situation politique difficile ?
A.D. : On dit qu'une image vaut mille mots. Un festival explique et montre les choses. Une fois que la réalité est montrée, les choses expliquées, cela contribue à l’apaisement, à la compréhension mutuelle. Par exemple, le débat qui a suivi la première mondiale de Bayiri, la patrie. Il s’agissait d’expliquer le phénomène des étrangers en Côte d’Ivoire, qui a cristallisé la passion concernant le concept de l’ivoirité, c’est là que la division a commencé. Il faut expliquer historiquement qu’entre 1932 et 1947, en quinze ans, près de 700 000 Burkinabè ont été déplacés en Côte d’Ivoire par le système colonial. Notre pays comptait à l’époque même pas trois millions d’habitants. On a déplacé le tiers de la population. Voilà une explication qu’un festival comme le nôtre peut donner. Cela permet aux gens de mener la bonne action, parce que nous voulons inciter les gens à l’action. C’est cela, l’objectif de notre festival.
RFI : Nouveaux médias et démocratie en Afrique est le thème principal du festival 2011. A l’occasion du « printemps arabe », on a vu la puissance des nouveaux médias comme internet ou Facebook. Est-ce qu’un festival de film comme le vôtre est dépassé par la vitesse de ce phénomène ?
A.D. : Un festival ne peut pas être dépassé, mais il doit prendre en compte les nouveaux médias. Nous voulons à travers des films et des débats montrer qu’il y a un changement en train de se passer. Un changement créé par la jeunesse à travers ces nouveaux médias. Nous-mêmes nous les utilisons avec notre blog, notre page Facebook, notre compte Twitter. Il faut les intégrer dans notre vie quotidienne.
RFI : Qui dit Burkina Faso et cinéma pense tout de suite au Fespaco. Est-ce que votre festival Ciné droit libre, créé en 2004, se situe comme un contre-festival ou un Fespaco-off ?
A.D. : Notre festival est parti d’un festival Fespaco-off. Nous nous sommes organisés en marge du Fespaco. Nous avons programmé des films qui étaient censurés ou que personne ne voulait diffuser. Mais on ne se crée pas en opposition au Fespaco. Nous nous occupons d’un domaine que le Fespaco ne prend pas suffisamment en compte. Pour cela notre objectif est de promouvoir et de défendre les droits humains et la liberté d’expression. C’est un festival de film-débat avec des films qui dérangent. Le succès que nous rencontrons montre que le besoin est là. Les gens ont envie de parler des films qui leur parlent, des films qui posent des vrais problèmes.
7eFestival Ciné droit libre, du 29 juin au 3 juillet à Ouagadougou, Burkina Faso.