La France a enfin rendu une première tête maorie à la Nouvelle Zélande

La ville de Rouen a solennellement restitué ce 9 mai à la Nouvelle-Zélande une tête de guerrier maori tatouée et momifié, apportée en 1875 au Muséum de Rouen. Il s’agit de la première de la quinzaine de têtes que la France détient afin que son pays d’origine puisse l’expertiser avant de l’inhumer selon les rites coutumiers. Entretien avec Sébastien Minchin, le directeur du Muséum d’Histoire Naturelle de Rouen, qui avait assisté ce matin à la cérémonie de restitution.

RFI : Vous sortez tout juste de cette cérémonie de restitution. Il y avait beaucoup d’émotion ?

Sébastien Minchin : Oui, une grande émotion tout au long de cette cérémonie, qui pour tous ceux qui étaient présents, je pense, a suscité plein de sentiments forts. Et puis, c’est surtout la fin d’une aventure qui a duré plusieurs années, pour voir s’achever le débat sur cette problématique de restitution des têtes maories.

RFI : Alors tout d’abord, il faut peut-être préciser que les têtes maories n’ont pas du tout le même statut que des fresques égyptiennes, par exemple, que le Louvre a rendu récemment.

S. M. : Oui. L’idée de départ pour nous, dès 2007, était de bien expliquer que ces têtes maories sont des restes humains. C’est un crâne, c’est la peau de la personne, ce sont ses yeux, ses cheveux, ses lèvres… Donc vous avez vraiment une tête, comme si c’était une tête séchée. Et dès le départ on s’est dit qu’il était judicieux de présenter ces têtes tatouées maories comme vraiment des restes humains et pas du tout comme des objets de collection, comme on pourrait le faire pour une sculpture ou une œuvre d’art.

RFI : Que va-t-il arriver à cette tête, une fois qu’elle sera revenue en Nouvelle Zélande ?

S.M. : Elle va partir de Londres demain, et puis elle arrivera au Musée National Te Papa à Wellington le 12 mai. A partir de ce jour, elle sera étudiée au sein de l’équipe rapatriement du Musée Te Papa. L’idée pour les Maories va être justement, d’identifier à partir des tatouages, l’identité de cette personne, et de pouvoir inhumer cette tête sur sa terre d’origine.

 

RFI : Il a fallu très longtemps, pour que cette tête soit restituée à la Nouvelle Zélande. Cela faisait quasiment vingt ans que Wellington réclamait ce retour. Pourquoi est-ce que cela a été aussi long ?
 
S.M. : Cela a été long parce que ce type de démarche amène un débat, avec des « pour » et des « contres ». Eh bien, comme dans tous les pays où ces démarches ont été lancées, il y a toujours la peur de la part des musées, de voir se vider nos collections, nos expositions et nos réserves. Et l’idée dès le départ pour nous, était vraiment de mettre cette tête – non pas comme un objet de collection – mais vraiment comme un reste humain. Donc on sortait de ces peurs qui peuvent être légitimes.

RFI : Le Ministère de la Culture était assez réticent à cette restitution.
 
S.M. : Le Ministère de la Culture à l’époque, nous avait amenés devant le Tribunal administratif de Rouen pour vice de procédure administratif, estimant qu’on n’avait pas appliqué la législation. Voilà, des choses ont évolué petit à petit, et puis le nouveau ministre de la Culture Frédéric Mitterrand, lui, avait donné en 2009 un avis favorable à cette démarche de restitution. Donc les choses évoluent. Voilà.
 
RFI : Est-ce que vous pensez, que les autorités culturelles en France ont bien conscience du problème ? Désormais il y a déjà eu un précédent en 2002, quand la France a rendu la Vénus noire à l’Afrique du Sud.
 
S.M. : Oui, mais c’est tous les enjeux des prochaines années. On sait que les demandes de restitution sont vraiment dans l’air du temps dans le monde entier, que dans un certain nombre de pays dans le monde, ces démarches sont prises en compte, ces demandes sont prises en compte et que l’on est dans une capacité de répondre favorablement ou défavorablement, et de donner des critères sur le choix qui a été donné à ces demandes. Voilà. Il faut qu’on arrive au même aboutissement en France. Ce qui n’était pas le cas, vous l’avez cité, en 2002 avec la Vénus Hottentote, et puis avec les têtes maories à partir de 2007, où il a fallu passer par une loi nominative de circonstance, qui est une loi qui ne va s’appliquer que pour ces cas très particuliers et qui n’aborde absolument pas la question sur l’ensemble des restes humains de nos musées.
 
RFI : Pour l’instant, il n’y a aucune législation globale là-dessus en France ?
 
S.M. : Non, pour l’instant il n’y a aucune législation globale sur cette question.

RFI : Et au niveau international, que dit l’Unesco par exemple ?
 
S.M. : Au niveau international, à l’Unesco et comme le Conseil international des musées indique depuis maintenant plusieurs années, il est important d’aller, tant que faire se peut, vers les restitutions des restes humains. Voilà, mais après ces questions doivent être débattues au sein de chaque état, avec la propre histoire de chacun de ces états, sa propre culture, sa propre référence, sa propre législation. Voilà, et donc il faut du temps pour que tout ça se mette en place par exemple en France.
 
RFI : En France cela prend plus de temps que dans d’autres pays… La Suisse, l’Allemagne, ont rendu des têtes avant la France. Pourquoi ce retard français ?
 
S.M. : Le retard s’explique en grande partie parce qu’en France on a un principe qui est presque le seul à exister dans le monde, qui est le principe d’une aliénabilité qui date de la Révolution française, et qui pour certains, indique simplement qu’à partir du moment où un objet est rentré dans le musée on n’a pas le droit de le vendre, de le donner ou de le détruire. Voilà, c’était l’une des particularités de la France, et du coup ça complexifie énormément ce débat, par rapport à d’autres pays justement, qui n’ont pas ce principe d’aliénabilité.

 

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