En Espagne, le juge Baltasar Garzon doit comparaître ce lundi 10 mai 2010 devant le Tribunal Suprême espagnol pour répondre d'écoutes présumées illégales qu'il aurait ordonnées lors d'une enquête pour corruption du parti de droite, le Parti Populaire. Mais le juge Garzon est aussi poursuivi pour avoir voulu ouvrir des enquêtes sur les crimes du passé franquiste, passant outre la loi d'amnistie de 1977. Ces poursuites lui ont valu des manifestations de soutien en Espagne mais aussi dans d'autres pays notamment en Amérique Latine.
De l’ETA à Pinochet, le juge Garzon reconnu et soutenu dans le monde entier
Baltasar Garzon est reconnu internationalement pour avoir lancé un mandat d'arrêt international à l'encontre du général Pinochet à Londres en 1998 pour répondre de crimes contre l'humanité dans la dictature chilienne. C'était la première fois qu'un juge s'attaquait à un chef d'Etat en exercice. Il a appliqué à plusieurs reprises ce principe de compétence universelle à l’encontre d’autres hauts responsables de crimes contre l’humanité en Argentine ou au Guatemala, ce qui lui vaut actuellement une vague de soutien notamment en Argentine où plus de 800 associations ont signé un manifeste de solidarité avec le juge espagnol. Une plainte a même été déposée devant un tribunal de Buenos Aires pour juger les crimes du franquisme, mais la juge argentine l’a déclaré irrecevable.
Baltasar Garzon a aussi à son actif de nombreux procès contre des groupes terroristes dans son pays comme le groupe séparatiste basque ETA, contre les GAL, les groupes paramilitaires clandestins responsables d'exécutions extrajudiciaires dans les années 1995, contre le trafic de drogue ou le blanchiment d’argent, et contre des affaires de corruptions.
Le juge qui dérange à droite comme à gauche
C'est un juge qui bouscule. A gauche, sous le gouvernement socialiste de Felipe Gonzalez, avec l’affaire des GAL (Groupe antiterroristes de libération, commandos paramilitaires de lutte contre ETA notamment sur le territoire français) qu’il dénonce comme un terrorisme d’Etat malgré les pressions politiques, et à droite avec plusieurs affaires de corruption au sein du Parti Populaire, comme celle pour laquelle il comparaît ce lundi à Madrid, pour avoir ordonné des écoutes téléphoniques présumées illégales.
Mais ses déboires judiciaires ont véritablement commencé après qu'il ait décidé le 16 octobre 2008 de se déclarer compétent pour ouvrir une enquête sur les crimes du franquisme. Le 27 mai 2009, le tribunal suprême a accepté une plainte contre le magistrat , présentée par des organisations d’extrême droite comme la Phalange, Manos Limpias, Libertad e Identidad, qui accusaient le juge de « prévarication », c’est-à-dire d’avoir sciemment voulu ouvrir une enquête malgré la loi d’amnistie d’Octobre 1977. Baltasar Garzon s’appuie sur le fait qu’il s’agit de crimes contre l’humanité et qu’ils doivent être jugés, comme pour toute autre situation similaire dans le monde, et que c’est le droit espagnol qui n’est pas en conformité avec les normes internationales.
Baltasar Garzon, parfois considéré comme un justicier
Le juge d’instruction Baltasar Garzon pâtit peut-être de ses combats pour lesquels il est décrit comme un justicier, et c'est également la méthode qu'il a utilisée dans ce rôle de justicier qui lui a causé du tort.
Pour François Godicheau, professeur l’histoire contemporaine de l’Espagne à l’Université Bordeaux III, cela ne justifie pas l’action qui est mise en œuvre actuellement. « C’est peut-être quelqu’un qui se prend pour un justicier, mais c’est quelqu’un qui, par son action dans le passé concernant l’Espagne et la dictature du franquisme a voulu assumer ou faire assumer à la justice tout ce qu’elle rejetait jusqu’à présent, et pour cela il a véritablement été très important comme dans l’affaire Pinochet. Effectivement c’est quelqu’un qui a des défauts, il ne s’agit pas d’en faire un saint. Mais dans le cas présent, c’est bien pour son action l’année dernière sur les crimes du franquisme qu’il est mis en cause. Et il est mis en cause précisément par l’extrême droite et pas n’importe quelle extrême droite, par la Phalange, c’est-à-dire par les héritiers du parti fasciste espagnol qui a structuré le régime pendant au moins sa première partie ».
« Persécution pénale » contre le juge Garzon
Malgré ses méthodes, la pression dont il est actuellement la cible n’est pas acceptable selon de nombreuses organisations de défense des droits de l’homme, des avocats, et des magistrats qui ont publiquement dénoncé lors des nombreuses manifestations le 25 avril 2010 ce qu’ils désignent comme une « persécution pénale ». L’un d’entre eux, le Français Louis Joinet, avocat général honoraire de la Cour de cassation française, ancien expert indépendant pour les Nations unies et ancien Rapporteur spécial des Nations unies pour la lutte contre l'impunité a récemment fait partie d’une mission de l’Observatoire pour la protection des droits de l’homme qui a conclu « qu'une persécution visant à ternir l'image publique du juge et de mettre fin à sa carrière judiciaire était actuellement en cours ». Lors de l’examen périodique universel de l’Espagne au Conseil des droits de l’homme (examen qui passe en revue tous les pays sur leur respect des droits fondamentaux), cinq pays latino-américains ont demandé à l'Espagne d'enquêter sur les disparus de la Guerre civile espagnole, en vertu de la lutte contre l’impunité.
Il risque jusqu’à 20 ans d’interdiction d’exercer
Baltasar Garzon avait demandé la récusation pour impartialité du magistrat qui voulait le faire juger sur cette affaire, le juge Luciano Varela, mais vendredi 7 mai, le Tribunal suprême espagnol a rejeté cette demande. Ceci implique que le procès oral devrait bel et bien avoir lieu, et que le juge Garzon pourrait donc être suspendu jusqu'à ce qu'il soit condamné ou relaxé. Il risque une peine lourde, entre 12 et 20 ans d’interdiction d’exercer en tant que juge.