En Pologne, Kaczynski brigue le poste de Kaczynski

Deux semaines après la mort tragique du président polonais Lech Kaczynski, on apprend le nom du candidat du parti qu’il a fondé, Droit et Justice (PiS), pour briguer le poste abandonné par le chef de l’Etat défunt. Ce sera le frère jumeau de Lech Kaczynski, Jaroslaw, président du PiS, qui représentera le parti lors de l’élection anticipée, fixée au 20 juin prochain.

Peu de Polonais doutaient de la candidature de Jaroslaw Kaczynski. Droit et Justice prolongeait le suspens jusqu’à la dernière minute, mais l’annonce finale, faite par le candidat lui-même, n’a surpris personne. L’heure limite de dépôt des candidatures tombait à 16h15 le lundi 26 avril 2010. Celle du président du PiS n’a été annoncée que vers 15h00, ce qui laissait à peine une heure au parti pour collecter mille signatures exigées par la loi pour qu’une candidature soit valable.

Officiellement, Droit et Justice attendait la fin des obsèques de la dernière victime de la catastrophe de Smolensk issue de ses rangs – la vice-présidente du parti, Aleksandra Natalli-Swiat, enterrée lundi à midi à Wroclaw – avant d’entamer quelque démarche électorale que ce soit. Officieusement, on sait que la décision sur le nom du candidat avait été prise bien avant et que les militants s’étaient mis discrètement à collecter les signatures nécessaires, il y a déjà quelques jours, afin de ne pas prendre le risque de compromettre les chances de leur chef pour une raison administrative.

Aucun risque n’est permis

Or aucun risque n’est permis au parti qui a perdu la fine fleur de ses hommes politiques en quelques secondes, lors de la catastrophe du 10 avril dernier. Le problème de la candidature à la présidentielle est certainement le plus important et le plus urgent, mais il n’est pas le seul. Avant la tragédie à Smolensk, les hommes du PiS occupaient plusieurs postes-clés qui leur assuraient une influence significative sur le fonctionnement de l’Etat. Président de la République, PDG de la Banque centrale, chef de l’office de la Sécurité nationale… pour ne mentionner que les plus importants. Dans la nouvelle situation, tous ces postes vont échapper au PiS soit immédiatement, soit peu après l’élection présidentielle.

Car c’est le président de la Diète, Bronislaw Komorowski du parti libéral Plateforme civique (PO), qui est devenu, conformément à la Constitution polonaise, le président par intérim. C’est également lui qui, si l’on en croit les sondages, a toutes les chances de devenir président tout court à l’issue du scrutin de 20 juin, peut-être même au premier tour. En effet, les enquêtes d’opinion lui donnent une confortable avance sur tous les autres candidats, indépendamment de leur orientation politique. Selon le dernier sondage en date, publié par le journal Fakt, si un deuxième tour était nécessaire, Komorowski l’emporterait facilement contre tout adversaire possible, en obtenant entre 55 et 67% des voix.

« Notre chef, c’est un dur »

C’est justement Jaroslaw Kaczynski comme adversaire potentiel qui fait descendre le score attendu de Bronislaw Komorowski à son niveau le plus bas – 55% – et c’est la raison principale pour laquelle ni son parti, ni lui-même, n’ont le choix : il est obligé d’être candidat car il est le seul dans l’opposition toute entière à avoir une petite, mais quand même réelle chance de retourner la situation lors de la campagne électorale et de pouvoir encore rêver de la présidence de la République.

La décision n’était peut-être pas facile à prendre. N’oublions pas que Jaroslaw Kaczynski vient de perdre, il y a à peine quinze jours, son frère jumeau, sa belle-sœur, un grand nombre de ses amis politiques et personnels. Et sa mère est mourante. Humainement, tout le monde aurait donc compris s’il s’était retiré de la politique, au moins pour un certain temps. Mais ce serait méconnaître la nature profonde de l’homme. Le quotidien Gazeta Wyborcza cite un député du PiS : « Notre chef, c’est un dur. Plus que jamais, la politique le motive à agir. Sur le plan personnel, c’était extrêmement difficile à vivre pour lui, il a beaucoup maigri, mais sur le plan politique il tient bon ».

Trois facteurs

Jaroslaw va donc se battre. Théoriquement, trois facteurs peuvent jouer en sa faveur.

D’abord, le mythe de la vie et surtout de la mort héroïque de son frère. Mythe qu’il construit en vitesse en imposant, entre autres, de concert avec l’Eglise, la décision d’enterrer le couple présidentiel dans la nécropole royale de Wawel à Cracovie – décision qui a tout de suite fait éclater la belle unité nationale face au deuil après la catastrophe et ravivé toutes les traditionnelles divisions et conflits politiques. Ambiance dans laquelle Jaroslaw Kaczynski se sent comme un poisson dans l’eau. Toutefois, il n’est pas du tout sûr qu’à la longue, cela lui permette de profiter sur le plan électoral de la compassion pour son frère. Elle était évidente et visible juste après la catastrophe, mais l’est moins depuis les cérémonies de Wawel.

Ensuite, il pourra sensiblement monter dans les sondages s’il fait une très bonne campagne. Mais on sait d’expérience que Jaroslaw Kaczynski a du mal à maîtriser son agressivité et son goût de la provocation. On annonce du côté du PiS que, vu les circonstances, la campagne sera plus tranquille et élégante que jamais, mais on a vu déjà avec l’histoire de Wawel que le jumeau survivant a de sérieuses difficultés à profiter même de situations extrêmement favorables psychologiquement et politiquement et qu’il les gâche parfois de façon inexplicable.

Enfin, l’équipe de Jaroslaw Kaczynski va certainement guetter toute erreur de Bronislaw Komorowski pour en tirer des bénéfices électoraux. L’ennui, c’est que celui-ci en a fait jusqu’à présent très peu et qu’il en faudrait une vraiment très grosse pour réduire l’énorme avance qu’il a actuellement sur le candidat de Droit et Justice.

Mais l’on sait que tout peut arriver lors d’une campagne électorale. Et c’est peut-être cela, le plus grand espoir de Jaroslaw Kaczynski.

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