Le «Mistral», le cercueil en acier de l’unité européenne

Avec le Mistral, navire français de projection et de commandement, la guerre en Géorgie en août 2008 aurait été gagnée « en quarante minutes, et non en vingt-six heures ». Les déclarations de Vladimir Vissotski, le commandant de la flotte russe, le 11 septembre dernier, ont donné des frissons dans le dos des petits voisins de la Russie, des rives de la mer Noire aux côtes de la Baltique.

De nos correspondants à Vilnius, Marielle Vitureau, et Tbilissi, Régis Genté

Aujourd’hui, les Baltes comme les Géorgiens craignent pour leur sécurité depuis que les négociations ont officiellement démarré entre la France et la Russie pour la vente de quatre navires de guerre à Moscou. Le Mistral, l’un des plus gros navires de guerre français, peut simultanément servir de porte-hélicoptères, accueillir un hôpital et un état-major. Il est également adapté au transport et débarquement de troupes.

« Ce navire est destiné à attaquer les nations vivant des pays riverains (de la Russie) », a déclaré Vytautas Landsbergis, le père de l’indépendance lituanienne à l’hebdomadaire lituanien Atgimimas.

Pierre Lellouche a informé la présidente lituanienne Dalia Grybauskaite que « si le contrat était signé un jour, le navire serait vendu à la Russie en tant que bateau civil, sans aucun équipement militaire ». Pourtant, la visite éclair du secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, qui a demandé « à tourner le dos à la guerre froide » dans les trois capitales baltes la semaine dernière et destinée à rassurer, est très loin de les avoir convaincus.

L'inquiétude des voisins de la Russie

C’est donc bien le signal politique lancé par ses négociations qui inquiète les voisins de la Russie, des anciennes républiques à l’époque soviétique et qui on payé bien cher leur volonté de sortie de l’Union soviétique et d’indépendance, il y a vingt ans.

« Le tableau n’a pas beaucoup changé de puis la guerre froide, car la Russie ne voit pas en l’OTAN un partenaire, mais une menace », estime Marko Mihkelson, chef de la commission des Affaires étrangères au Parlement estonien.

La nouvelle doctrine militaire russe cite l'élargissement de l'OTAN comme une des principales menaces pour la Russie. « Cette tendance renforce notre inquiétude », renchérit la ministre lituanienne de la Défense, Rasa Jukneviciene.

D’ailleurs, le modèle pris pour un grand exercice militaire commun aux Russes et Biélorusses à l’automne 2009, était l’agression de ces pays par les Occidentaux.

Un transfert sans précédent de technologies militaires

La vente du Mistral serait un transfert sans précédent de technologies militaires d’un pays de l’OTAN à la Russie et Paris n’est pas assez ferme vis-à-vis de Moscou, clament les Baltes de toute part. Même s’ils reconnaissent que la France ne les oublie pas totalement. Les forces aériennes de l’Hexagone assurent depuis le 1er janvier 2010 et pour quatre mois la surveillance de l’espace aérien balte dans le cadre d’une mission de l’OTAN.

A Tbilissi, l’incompréhension est encore plus grande que c’est le chef de l’Etat français qui a négocié, au nom de l’UE certes, l’accord de cessez-le-feu de l’été 2008. Or, le document n’est pas pleinement respecté, les troupes russes ne se sont toujours pas retirées sur les lignes antérieures au 7 août, c'est-à-dire celles sur lesquelles elles étaient stationnées avant le début des hostilités. A l’heure où Dimitri Medevedev est à Paris, les chars de Moscou stationnent encore à Akhalgori, une petite ville à tout juste une quarantaine de kilomètres de la capitale géorgienne.

« Le problème, c’est le signal politique qui est envoyé à Moscou. Cela veut dire que l’on peut envahir un pays voisin, y faire un nettoyage ethnique, comme le dit expressément le rapport Tagliavini de la Commission européenne sur la guerre de 2008, et cependant recevoir à nouveau des armes puissantes de la part d’un membre de l’OTAN », note Eka Tkheshelachvili, la secrétaire du Conseil de sécurité national géorgien.

La surenchère militaire de Moscou a toujours provoqué l’inquiétude chez les Baltes qui ont défilé par milliers en août 2008 pour soutenir la Géorgie dans son conflit armé avec la Russie.

« La Russie joue un jeu subtil et complexe avec l’Occident », note Nerijus Maliukevicius, politologue lituanien, spécialiste de la Russie.« Elle divise l’unité de l’Occident pour mieux régner ».

Une méthode que l’empire russe met en pratique depuis plusieurs siècles, privilégiant les relations avec certaines grandes puissances occidentales et délaissant les petits Etats. Les réactions seraient moins épidermiques si les hostilités n’avaient pas eu lieu en Géorgie et si un possible retour de la guerre n’était pas une hypothèse prise très au sérieux, à Tbilissi, mais aussi à Vilnius, Riga et Tallinn.

« Même si le contrat n’est pas signé, la Russie aura atteint son but, celui de mettre à dos les Alliés occidentaux », souligne Nerijus Maliukevicius.

Le Mistral est donc bien le cercueil d’acier de l’unité européenne, comme l’a prédit Atgimimas.

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