Avec notre correspondante à Lagos, Julie Vandal
Plus personne ne l’attendait. Mais il est rentré au pays. Après trois mois d’hospitalisation à Jeddah en Arabie Saoudite officiellement pour une affection au coeur, le chef de l’Etat nigérian, Umaru Yar’Adua a créé la surprise. Le 24 février, il est arrivé à l’aéroport d’Abuja, la capitale fédérale, aux premières heures de la nuit. En catimini. Aucun journaliste n’a été autorisé à pénétrer dans la zone. L'électricité a été coupée aux abords. Mais une ambulance, placée sous escorte policière a ensuite été vue partant en direction du palais présidentiel d’Aso Rock.
Dans quel état se trouve le chef de l’Etat ? Petit retour, pour un grand mystère : personne ne sait. Personne ne l’a vu. Depuis son départ du Nigeria, le 23 novembre 2009, Yar’Adua, âgé de 58 ans et affaibli par des problèmes aux reins depuis une dizaine d'années, n’a donné qu’un seul signe de vie en accordant un bref entretien à la radio britannique BBC, le 12 janvier. Et le fait qu’il ne soit plus apparu en public depuis trois mois donne lieu à toutes les spéculations. « Sa santé va nettement mieux », a pourtant assuré Segun Adeniyi, le porte-parole du chef de l’Etat, le 24 février. Ce soir-là, en guise d’illustration de ce retour, la chaîne de télévision NTA, diffusait un reportage dépouillé : la lecture d’un communiqué de la présidence avec en fond d’écran la photo officielle du président Yar’Adua. Rien de plus.
Dans les rues de Lagos, la nouvelle fait jaser. « On ne sait pas comment il va. S’il se porte mieux ou s’il est dans le coma », lance Kenneth, la quarantaine. « S’il est très malade, les Nigérians ont droit de le savoir et dans ce cas, il faut que quelqu’un le remplace pour que le business et le pays avancent. C’est tout ce que nous demandons ».
« Le retour de Yar’Adua plonge la présidence dans la confusion »
Ces trois derniers mois, l'absence prolongée du chef de l’Etat avait placé le pays - deuxième producteur de pétrole en Afrique - au bord de la crise constitutionnelle et menacé de paralyser l'activité gouvernementale jusqu'à ce que le vice-président, Goodluck Jonathan, peu influent politiquement, se voit confier l'intérim, le 9 février. Les partisans du président malade, opposés à ce transfert de pouvoir, avaient alors perdu la manche. Certes, ce 24 février, les autorités ont déclaré que pendant la poursuite de la guérison de Yar’Adua, Jonathan allait « continuer à s’occuper des affaires de l’Etat ». Il n'empêche, la presse et les observateurs sont sceptiques. Car ce retour relance la bataille pour le pouvoir dans un climat tendu.
Les influents quotidiens nationaux The Punch et The Guardian titraient respectivement en une jeudi 25 février : « Le retour de Yar'Adua plonge la présidence dans la confusion » et « Confusion à Aso Rock ». Les Nigérians s'interrogent. Pourquoi revenir alors qu’il n’est pas en mesure de gouverner ?
« Le camp présidentiel, estime que Goodluck était en train de monter en puissance. Il avait commencé à dissoudre le cabinet, remis en cause un contrat dans le delta du Niger et entamé une procédure de destitution en envoyant des experts médicaux au chevet de Yar’Adua », explique un politologue sous couvert de l’anonymat. « Faire revenir le président était le meilleur moyen de mettre la pression sur Jonathan pour lui montrer qu’il ne peut pas tout se permettre ».
De fait, les partisans de Yar’Adua, réunis autour de son épouse Turai, et de ses proches conseillers sont décrits par plusieurs analystes comme souhaitant assurer leur propre succession. Du côté des proches de Goodluck Jonathan? « Ils voudraient maintenant qu’il soit président. Il y avait une vacance, on lui a confié les rênes du pouvoir, mais au bout de deux semaines l’autre revient, c’est difficile à accepter », estime Shehu Sani, responsable de l’ONG Civil Rights Congress. « On s’est éloigné de l’aspect constitutionnel du problème. Il y a beaucoup d’émotion, de considération ethnique et religieuse qui sont venues s’y greffer ».
Selon une règle non écrite mais bien établie, d'alternance, tous les huit ans, la présidence doit revenir aux musulmans jusqu'en 2015, après deux mandats d'Olusegun Obasanjo. À bientôt un an de l’élection présidentielle, cette tension au plus haut sommet de l'Etat, susceptible d'impliquer l'armée et les responsables de la sécurité, inquiète la communauté internationale.
Dans un communiqué publié mercredi 24 février 2010, Johnnie Carson, secrétaire d’Etat adjoint américain aux Affaires africaines a mis en garde les autorités. « Nous espérons que le retour du président Yar'Adua au Nigeria ne traduit pas une tentative de la part de ses conseillers de porter atteinte à la stabilité du Nigeria et de créer une nouvelle incertitude dans le processus démocratique », a-t-il déclaré. Ajoutant que, pour les Etats-Unis, Umaru Yar'Adua n'est « peut-être pas en mesure de remplir ses fonctions ».