A Jos, la vie reprend dans l’angoisse

Maisons brûlées, voitures calcinées, populations fusillées .... Entre le 17 et le 20 janvier 2010, la ville de Jos, chef-lieu de l'Etat du Plateau a de nouveau été le théâtre d'affrontements violents entre chrétiens et musulmans. Selon un bilan encore provisoire fourni par la police, les massacres auraient fait plus de 300 morts. Concernant les déplacés, la Croix Rouge Internationale (CICR), avance le chiffre d'au moins 18 000 réfugiés.

De notre envoyée spéciale à Jos,

« Vous voyez, ça c'est ma moto, elle a été complètement brûlée ». Le bras ballants devant la carcasse calcinée de son engin, John n'en revient toujours pas. Ses quarante ans de vie dans le quartier de Bukuru, au Sud de Jos, sont partis en fumée. « Ils ont brûlé ma télé, ma maison, l’ensemble de mes affaires. Tout ce qu'il me reste ce sont les vêtements que je porte ». Une chemise, un blue-jean délavé et des chaussures. Rien de plus.

Comme lui, des milliers de familles ont tout perdu au cours des violents affrontements qui ont opposé chrétiens et musulmans entre le 17 et le 20 janvier dernier. « On savait que cela allait recommencer, tout le monde le disait, mais on ne voulait pas y croire », raconte Délé, un autre résidant de Bukuru.

De fait, depuis 2001, la ville de Jos est régulièrement en proie à des violences interreligieuses. En novembre 2008, c'est un différend électoral qui avait embrasé la ville et fait 700 morts. Cette fois-ci ? Les témoignages varient. Certains habitants parlent d'une altercation entre jeunes au cours d'un match de football. D'autres, de la construction d'une mosquée dans une zone à dominante chrétienne. D'autres encore, de travaux entrepris par des musulmans revenus dans leur quartier après avoir pris la fuite pendant deux ans. Quoiqu'il en soit, il y a eu représailles. De part et d'autre. Jusqu'aux localités situées à la périphérie de Jos.

Abdoulaye Akubu, un des représentants de la communauté musulmane de Kuru Karama (environ 30 km au Sud de Jos) en sait quelque chose. « C'était en pleine journée, des gens sont arrivés. Avant qu'on ait eu le temps de comprendre ce qui se passait, ils nous ont encerclé et ont commencé à nous attaquer. Une femme et un bébé se sont fait tuer sous mes yeux », raconte-t-il l'air absent. « Ils étaient nombreux et avaient un armement très sophistiqué : des fusils, des machettes et aussi des cailloux et des cocktails molotov. C'est avec ça qu'ils ont brûlé nos maisons ».

Depuis ce jour-là, Kuru Karama est un village fantôme où ne résonne que le bruit de la tôle ondulée battue par le vent. Parfois, entre les ruines des maisons brûlées et les carcasses des voitures calcinées on aperçoit des traces de sang, des restes de repas jetés à terre et des vêtements étendus sur les fils à linge, ultime témoignage de la violence des affrontements.

Ils quittent la ville en masse

« Ils ont tué les gens sauvagement et les ont jetés dans les puits de nos maisons », explique Brahim Mohammed, un père de famille de 42 ans. En fin de semaine, les habitants ont mis à jour des charniers. 155 corps auraient ainsi été retrouvés gisant au fond des puits. Quant aux survivants, ils ont fui le village et sont venus grossir le lot des déplacés.

Ce lundi, nouvelle découverte macabre. « Les habitants ont retrouvés 27 nouveaux corps à Kuru Karama, 99 autres dans deux autres villages » indique dépité, Sheikh Khalid Aliyu Abubakar, l’Imam en chef de la mosquée centrale de Jos. Plusieurs dizaines personnes seraient, elles, toujours portées disparues. Quant aux survivants, ils ont fui le village et sont venus grossir le lot des déplacés. Selon la Croix-Rouge Internationale (CICR) il y en aurait au moins 18 000,réfugiés pour la plupart à la périphérie de Jos, dans des casernes de l'armée, des églises ou des mosquées.

Dans le quartier de Bukuru, c'est le poste de police du district qui fait office de camp de fortune. Là, au milieu de bâtiments vétustes et d'un terrain vague jonché de détritus, au moins 2400 personnes se seraient établies, en majorité des femmes et des enfants. Selon plusieurs témoignages, les autorités ont tenté d’apporter des vivres, des couvertures et de l’eau, mais les conditions sanitaires sont précaires. Ici, chacun est uni dans la même misère, chrétiens et musulmans confondus. Rien d'étonnant à cela explique un déplacé, père de quinze enfants qui a lui aussi tout perdu. « Vous voyez, actuellement on est ensemble. Il n'y a pas ce truc de ‘je suis musulman’, ‘je suis chrétien’, non », s’exclame-t-il. « On est tous frères. Et on peut vivre en paix les uns avec les autres. Ce qui vient d'arriver est malheureux et n'aurait jamais dû se produire ».

Et pourtant, à Jos cet optimisme n’est pas partagé de tous. Certes l’armée patrouille dans les différents quartiers de la capitale. Certes, des points de contrôle ont été installés sur les différents axes de la ville et les véhicules fouillés. Certes, une semaine après les événements, le couvre-feu est progressivement assoupli et la vie à repris son cours normal, mais ici, beaucoup craignent que cette violence ne ressurgisse. Résultat, ils quittent la ville en masse. Des minibus, des taxis et des voitures remplies d’effets personnels prennent ainsi la direction des localités voisines. Parfois définitivement.

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