De notre correspondante à Kuala Lumpur,
C’est une vision du monde fragmentée que Singapour n’a jamais cherché à cacher. Communiquant quotidiennement sur l’évolution de la pandémie de coronavirus, ce petit État d’Asie du Sud-Est a toujours donné deux chiffres à la suite : un concernant la « communauté », c’est-à-dire les Singapouriens, et un autre pour les étrangers résidant dans ce minuscule pays insulaire d’Asie du Sud-Est. Un double standard qui s’est révélé problématique au cœur de la pandémie.
Singapour : un « étalon-or » de la pandémie avec des infections record chez les migrants
Le pays est vite apparu comme un modèle à suivre, avec par exemple une étude réalisée par les épidémiologistes de l’université de Harvard considérant les pratiques singapouriennes de traçage comme un « étalon-or » de gestion de crise dès février 2020.
Mais quelques mois plus tard, la courbe des contaminations s’est dangereusement affolée dans les dortoirs du pays, où logent parfois au sein d’un seul bâtiment jusqu’à 25 000 travailleurs migrants.
Et c’est avec une surprise non feinte, que beaucoup d’habitants de la quatrième ville la plus chère au monde ont alors découvert les conditions de vie de cette main-d’œuvre en provenance notamment du Bangladesh et de l’Inde, et qui a construit tous les gratte-ciel de cette cité futuriste, résume Ethan Guo de l’association Transient Workers Count Too (TWC2) : « La plupart des Singapouriens dans leur vie quotidienne n’ont presque pas de contacts avec les travailleurs migrants, il y a vraiment deux mondes parallèles ici. »
La moitié des migrants infectés, 0,25% chez les Singapouriens
Si les autorités se sont alors engagées à être plus regardantes sur les conditions de vie précaires des travailleurs migrants, notamment en construisant de nouveaux dortoirs, la dualité entre les 300 000 travailleurs migrants et les Singapouriens semble toujours de mise à l’heure de bilan de l’année 2020. Lorsque le gouvernement a par exemple cherché à regarder quel pourcentage de sa population avait développé des anticorps au Covid-19, il a pu constater le 14 décembre que la moitié des travailleurs migrants avaient attrapé le virus, un chiffre est estimé à 0,25% dans le reste de la population.
Alors que les mesures de distanciation sociale commencent à s’alléger pour les Singapouriens – avec par exemple la possibilité de se réunir à huit contre cinq auparavant –, les travailleurs migrants, eux, sont cantonnés à rester confinés dans leur dortoirs, sauf rares exceptions, a expliqué le ministre de la Main-d’Œuvre sur Facebook.
Licencié pour avoir tenté d’alerter sur la situation en Malaisie
Et Singapour ne semble pas être le seul pays de la zone à avoir sous-estimé la dangerosité des dortoirs surpeuplés de travailleurs migrants en temps de pandémie mondiale. Dans la Malaisie voisine, cette population connue pour pratiquer des professions répondant « aux trois D » : « dirty, dangerous, difficult » (« sale, dangereux et difficiles ») est aujourd’hui la première touchée par le virus.
Fin novembre, le pays découvrait en effet des clusters géants dans les usines de fabrication de gants en caoutchouc autour de Kuala Lumpur. Plus de 5 000 cas ont été recensés depuis, et alors que ce nombre grossissait, des révélations accablantes se sont succédé à propos de Top Glove. Le leader mondial du secteur est déjà interdit d’importation aux États-Unis pour des suspicions de travail forcé.
Un employé népalais a ainsi été licencié en septembre pour avoir tenté d’alerter sur la situation en prenant des photos de son lieu de travail surpeuplé. Repéré par les caméras de surveillance, le lanceur d’alerte a alors dû payer 470 dollars pour rentrer dans son pays et réaliser un test de dépistage à l’arrivée.
Des profits records pour Top Glove
Trois mois plus tard, tandis que le gouvernement oblige le fabricant de gants à fermer une bonne partie de ses usines, un ouvrier d’une filiale de Top Glove tentait de mettre fin à ses jours en décembre dans un dortoir de 14 lits où vivaient 24 personnes.
Le nombre de contaminations dans les usines de gants en latex devient de plus en plus inquiétant. Mais un chiffre semblait encore plus impressionnant : celui montrant la forme rayonnante des profits réalisés par l’entreprise Top Glove en ces temps de pandémie mondiale, avec des bénéfices trimestriels nets multipliés par 20.
Si un député de l’opposition a pu suggérer que les bénéfices colossaux de Top Glove cette année soient taxé de manière significative, les autorités ont elles assuré prévoir une poursuite judiciaire contre l'entreprise en raison des mauvaises conditions de logement de ses travailleurs.