Au Cachemire, l’atmosphère est extrêmement tendue. New Delhi n’a pas consulté les Cachemiris concernant cette décision historique, et n’a pas l’intention de le faire. Le gouvernement les contraint au silence, un silence assourdissant : un strict couvre-feu est imposé sur la région, les rues sont vides, seulement bloquées par de barrages militaires.
Toutes les communications sont coupées depuis lundi matin, que ce soit les téléphones portables ou fixe, une mesure extrême et rare, même pour cette région habituée à vivre en état de siège. Impossible donc d’entendre l’opinion des habitants, qui sont pourtant les premiers concernés par ce changement constitutionnel radical.
Enfin, les dirigeants des partis régionaux, dont deux anciens chefs du gouvernement régional, ont été arrêtés et placés en détention lundi soir, rapporte notre correspondant à New Delhi, Sébastien Farcis. Les seuls Cachemiris qui peuvent s’exprimer sont ceux qui travaillent ou étudient en dehors de cet État, et ils dénoncent l’attitude dictatoriale du gouvernement de Narendra Modi.
En réponse à ces accusations, le gouvernement affirme que l’autonomie initiale du Cachemire n’était que temporaire et qu’il a donc réparé cette anomalie afin de faire du Cachemire un État à part entière de l’Union indienne. Il assure que cela facilitera le commerce et le développement dans la région et prévoit, pour apaiser la population, d’annoncer un plan de grands travaux dans les jours qui viennent.
En attendant, il devra s’assurer que la situation n’explose pas. Car quand les restrictions de mouvement seront levées, il est bien possible que le mouvement indépendantiste armé devienne encore plus populaires qu’avant.
Les messages nationalistes du Modi
Avec cette décision, le gouvernement de Narendra Modi poursuit dans la veine de sa politique et rhétorique nationalistes, estime Charlotte Thomas, chercheuse du collectif de recherche Noria. « Le Cachemire est un point central du discours identitaire du BJP [le parti au pouvoir, Ndlr]. L’inclusion pleine et entière de l’État du Jammu-et-Cachemire est quelque chose qui a toujours était mis en exergue par les nationalistes hindous, notamment le BJP ».
Selon la spécialiste de l'Inde, cette décision envoie trois messages forts, l'un aux électeurs du parti nationaliste, un autre à la population du Cachemire et un dernier au voisin pakistanais.
« Ce message est très fort vis-à-vis de l’électorat du BJP : "on applique notre programme, on est les gardiens de l’intégrité de la nation". Vis-à-vis de la population cachemirie, majoritairement musulmane : "il ne sert à rien de protester, puisque de toute façon on envoie les militaires et on bloque les communications, donc on ne sait pas ce qu’il se passe aujourd’hui au Cachemire". Et vis-à-vis du Pakistan, il y a aussi un message très fort : "on est chez nous, le territoire cachemiri est un territoire indien. Ce n’est pas un territoire qui est l’enjeu de contentieux avec une puissance étrangère, puisque c’est un territoire indien". »
Colère au Pakistan
Un message assez peu apprécié au Pakistan, où les réactions sont nombreuses. Depuis lundi, les déclarations critiques et hostiles se multiplient à l’égard de l’Inde. Des réactions largement relayées par la presse locale qui s’en fait l’écho. Le sujet fait la une des journaux.
Dawn, le quotidien national anglophone, le plus ancien et l’un des plus lus, titre ce matin « New Delhi jette une feuille de vigne et vole le statut spécial du Cachemire ». Une série d’articles est consacrée au sujet extrêmement sensible, rapporte notre correspondante à Islamabad, Sonia Ghezali.
Le Parlement est convoqué en session extraordinaire d’urgence, apprend-on. Les généraux se retrouvent également aujourd’hui pour discuter du sujet alors que les tensions se sont accentuées ces dernières semaines le long de la ligne de contrôle qui sépare les deux pays.
Agitation sur les réseaux
Sur Twitter, les hashtag tels que « Le Cachemire menacé » ou encore « Le Cachemire saigne », « Sauvons le Cachemire SOS » sont largement partagés. Plusieurs célébrités pakistanaises s’expriment via les réseaux sociaux.
L’acteur Hamza Ali Abbasi lance un appel aux artistes pakistanais: « faites-vous entendre pour défendre le Cachemire ». Un mot d’ordre repris par Mahira Khan, Mawra Hocane, Hareem Farooq, des stars du cinéma et du petit écran au Pakistan qui se mobilisent sur les réseaux sociaux et qui demandent des comptes à la communauté internationale. « Pourquoi les Nations unies ne parlent pas de cette brutalité ? » demande l’acteur Ali Rehman Khan.
Le regard tourné vers l'ONU
Lundi, le ministre des Affaires étrangères pakistanais a lancé un appel aux Nations unies, « aux pays amis, aux organisations de défense des droits de l’homme ». « Il y a un risque de génocide », estime-t-il, réitérant le soutien du Pakistan au « peuple de Jammu-et-Cachemire dans leur droit à l’autodétermination ».
Le site web de la chaine de télévision Geonews rapporte en Une les propos de l’épouse de Yasin Malik, figure de proue du Front de libération du Jammu-Cachemire. Le leader de l’organisation politique active au Cachemire pakistanais et indien est emprisonné depuis le mois de février en Inde. Son épouse, qui poursuit son combat séparatiste, demande au Pakistan de faire appel au Conseil de sécurité de l’ONU.