[Reportage] A Nouméa, la Nouvelle-Calédonie face à la question de l'indépendance

« Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? » Voilà la question qui sera posée aux électeurs calédoniens le 4 novembre prochain, lors du référendum d'autodétermination. Sur place, à Nouméa, les citoyens sont toujours dans l'incertitude et attendent davantage d'informations sur les enjeux de la consultation et de l'après-référendum.

« La question du référendum ? Non, je ne sais pas trop... Tout ce dont je suis au courant c'est que le 4 novembre, il faut aller voter pour rester Français ». Mario, un dynamique quadragénaire d'origine vietnamienne, tient une des nombreuses boutiques de vêtements qui bordent la place des Cocotiers, l'équivalent des Champs-Elysées de Nouméa, en centre-ville.

Il était 11 heures du matin chez lui dans l'archipel de l'océan Pacifique, lorsque la nouvelle est tombée. À 16 000 kilomètres de là, à Paris, les élus du pays se sont enfin mis d'accord sur la question qui serait posée aux électeurs à l'occasion du référendum d'autodétermination.

Mario se sent concerné « comme tout le monde, parce que tout le monde va voter », mais ne perçoit pas bien les enjeux de l'indépendance. « La plupart des gens autour de moi disent que la Nouvelle-Calédonie va rester dans la France, alors en fait, on ne se pose même pas la question de savoir ce qui arriverait si ce n'était pas le cas... »

Le point de vue de ce Nouméen n'est pas minoritaire sur le Caillou (c'est ainsi que les habitants de la Grande-Terre surnomment leur île). Le manque d'information sur l'avenir qu'il décrit est corroboré par plusieurs études et rapports institutionnels. L'ONU, dont une délégation officielle était de passage du 12 au 19 mars derniers dans l'archipel afin de vérifier la bonne tenue du processus de décolonisation, est sur la même ligne. « Les campagnes d’information et de sensibilisation sur le droit de vote à l’intention des électeurs sont insuffisantes et [peuvent], dans certains cas, prêter à confusion », écrivait déjà l'organisation internationale dans un rapport de 2014. La mission d'information parlementaire française sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie est parvenue au même diagnostic de manque de connaissance des populations sur les alternatives au statu quo, c'est-à-dire au maintien dans la France.

À la suite de ces constats répétés, le gouvernement a annoncé le prochain lancement de campagnes de communication et d'une action « pédagogique » en direction de la population. Et ce même si le terme de « pédagogie » ne fait pas consensus en Nouvelle-Calédonie. « On n'a pas besoin de pédagogie, quand même, on peut comprendre la question : on sait bien à quoi correspondent la pleine souveraineté et l'indépendance », réagit vivement Daniel, un autre citoyen de Nouvelle-Calédonie, rencontré place des Cocotiers alors qu'il feuillette le journal en attendant la fin d'une averse.

Lui est Kanak, c'est-à-dire qu'il fait partie du peuple autochtone, présent bien avant que les Français ne prennent possession de l'archipel, en 1853. « Ici, à Nouméa, ça va encore, mais là où j'habite, c'est-à-dire à Houailou, en brousse, de nombreuses personnes n'ont pas accès à la télévision ou à internet », déplore-t-il. Il sait déjà qu'il va voter en faveur de l'indépendance.

Au regard des précédents scrutins dans le pays, les non-indépendantistes seraient majoritaires en Nouvelle-Calédonie. La constitution de la liste électorale référendaire a été l'occasion de très vives passes d'armes entre indépendantistes et non-indépendantistes. Qui aura le droit de voter au référendum ? Sur quels critères est-on suffisamment Calédonien pour pouvoir s'exprimer dans les urnes sur l'avenir du pays ? Présence de longue date dans le pays, « intérêts moraux et matériels », statut coutumier, c'est-à-dire appartenance au peuple autochtone : les critères qui ont finalement été choisis sont nombreux et stricts. Ils ont été définis dans la nouvelle mouture de la loi organique votée le 20 mars par l'Assemblée nationale.

Et ils ajoutent à la complexité du processus. Beaucoup de personnes, comme Nathalie, gérante d'une bijouterie à Nouméa, ont été découragées par la lourdeur administrative des démarches. « Je viens de Concarneau, en Bretagne, mais beaucoup de gens m'ont dit que j'avais le droit de voter au référendum parce que je suis arrivée en Nouvelle-Calédonie avant 1998 », sourit-elle, un peu désabusée. « J'ai essayé plusieurs fois de m'inscrire, mais j'ai renoncé devant la liste des justificatifs à fournir. Finalement, je ne sais même pas si j'en ai le droit, ce n'est pas clair du tout. » Même si elle réunissait tous les documents idoines, il resterait à Nathalie bien peu de temps pour s'inscrire sur la liste électorale spéciale du référendum.

La dernière ligne droite est maintenant engagée avant la consultation. Les commissions administratives spéciales qui finalisent les listes vont se réunir à partir de la mi-avril et le corps électoral sera définitif au plus tard en août. Il ne restera alors que trois mois avant ce référendum qui est prévu depuis trente ans par les Accords de Matignon-Oudinot signés en 1988.

(Re) lire : Le référendum d'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie fixé au 4 novembre

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