Donald Trump a déjà dit être impatient de rencontrer le Premier ministre indien et d’avoir des « discussions approfondies » avec un « véritable ami ». La Maison Blanche rappelle inlassablement que les deux hommes ont « beaucoup de choses en commun ».
De fait, pendant sa campagne présidentielle, Donald Trump « s’est prévalu de l’amitié qu’il cultivait avec les Indiens en général, et les Hindous en particulier », rappelle Christophe Jaffrelot, du Ceri de Sciences Po.
Le candidat républicain était même soutenu par des groupes d’Indiens installés aux Etats-Unis. Leur mot d’ordre : « Hindu for Trump », Narendra Modi étant le nationaliste hindou par excellence.
Visas H-1B
Cette « collaboration » pendant la campagne électorale avait été très nette, mais aujourd’hui les relations Inde-Etats-Unis se sont nettement tendues. Car la politique que veut imposer Donald Trump sur la présence d’étrangers aux Etats-Unis pose problème à New Delhi.
Cette dernière met en danger le visa H-1B, largement utilisé par les dizaines de milliers d’ingénieurs informaticiens indiens, qui demandent chaque année à entrer sur le territoire américain pour permettre aux géants indiens du IT (les technologies de l’information) de décrocher des marchés américains et de les conserver.
Pour Christophe Jaffrelot, Donald Trump aura à cœur de dissiper les doutes qui ont pu s’immiscer entre les deux pays, « notamment en réaffirmant que Etats-Unis et Inde ont en commun un ennemi, le terrorisme, dont le sous-titre est l’islamisme et le sous-sous-titre l’islam ».
« C’est ce que ces deux pays ont en commun de plus évident aujourd’hui : un discours très volontariste contre le terrorisme, teinté d’islamophobie dans certains cas », observe le chercheur.
Partenariat stratégique
L’Inde compte aussi sur les Etats-Unis pour l’aider à rejoindre des instances multilatérales - elle veut devenir membre du Conseil de sécurité des Nations unies.
Mais New Delhi veut aussi rassembler une coalition pour entrer au NSG, le Nuclear Suppliers Group, une sorte de « club » qui regroupe tous les pays éligibles à des technologies nucléaires civiles, et qui permet à chacun d’accéder aux technologies vendues par les autres.
Mais la Chine bloque l’entrée de l’Inde, arguant que le pays n’a pas signé le Traité de non prolifération des armes nucléaires (TNP) et qu’il a effectué un essai nucléaire en 1998.
Les relations entre les deux pays sont depuis longtemps difficiles. Or New Delhi veut à tout prix rejoindre le NSG pour « monter en gamme » dans l’ordre international.
Il y a trois semaines, Narendra Modi avait demandé l’appui du président français Emmanuel Macron lors de son passage à l’Elysée pour contourner le veto chinois. La même demande sera certainement faite ce lundi à Donald Trump.
Que veut Trump ?
De fait, depuis 2005, l'Inde et les Etats-Unis se sont rapprochés, avec une véritable relation stratégique que le Premier ministre indien veut approfondir. Mais les Etats-Unis de Donald Trump le désirent-ils aussi ?
Selon Philippe Golub, professeur de relations internationales à l’université américaine de Paris, « la bureaucratie permanente américaine, c’est-à-dire le Pentagone et les institutions de sécurité américaine, voudraient effectivement intensifier et approfondir les relations avec l’Inde, dans la perspective du développement d’une "ceinture de sécurité" autour de la Chine ».
Problème : Donald Trump semble être, selon le chercheur, « dans une position un peu plus ambiguë. On ne sait pas exactement quelles sont ses pensées sur ces questions, comme sur d’autres d’ailleurs. »
L’annonce d’une éventuelle vente d’armes lors de cette visite de Narendra Modi pourrait donner un indice sur l’humeur du moment : les Indiens espèrent en effet que les Américains vont accepter de leur vendre des drones militaires maritimes. « Si cet achat se conclut, cela signifiera que sous Trump, les relations Etats-Unis-Inde vont perdurer, comme sous Obama ou sous l’administration Bush. »
Pomme de discorde
Autre attente de l’Inde, et c’est une demande récente de Narendra Modi : que les Etats-Unis cessent leur collaboration avec le Pakistan. Depuis le début de la guerre en Afghanistan, Washington a donné à Islamabad, son principal allié dans la région, 30 milliards de dollars au titre de la collaboration militaire.
Ça a permis au Pakistan d’acquérir du matériel très sophistiqué, et New Delhi le vit très mal. « Trump a commencé à réduire la voilure, mais beaucoup moins qu’on ne l’aurait imaginé », souligne encore Christophe Jaffrelot.
« On est encore sur une tendance qui porte à environ un milliard de dollars par an ce que les Etats-Unis donnent aux Pakistanais », ajoute-t-il, « d’autant plus qu’il semblerait que les Etats-Unis sont sur le point de vendre des F-16 à l’Inde ».
« Si l’Inde acquiert des F-16, elle ne peut pas voir d’un bon œil le fait que le Pakistan continue lui aussi d'en recevoir. Pour Modi, c’est compliqué à gérer : il ne peut pas d’un côté vouloir resserrer les liens stratégico-militaires avec les Etats-Unis et ne pas voir les mêmes liens se desserrer côté pakistano-américain. »
Des économies
Cette visite, c’est aussi pour Narendra Modi l’occasion de voir si Washington peut l’aider à relancer son économie. Car la croissance indienne est en baisse, et comme l’explique Philippe Golub « Narendra Modi a besoin des Etats-Unis ».
Ce, « à la fois pour montrer que lui aussi fait partie des "grands" de ce monde, mais aussi parce qu'au plan économique, il voudrait des investissements américains, des flux de capitaux, et cherche des marchés ».
Pour « toute une série de raisons », Modi a donc besoin des Etats-Unis, « peut-être plus que les Etats-Unis n’ont besoin de l’Inde ». Pour autant, les Américains ont aussi des demandes : Washington souhaite depuis longtemps une libéralisation de certains secteurs de l’économie indienne.
En tête, la grande distribution, avec un lobby très fort côté américain pour que l’Inde se débarrasse d’une loi qui empêche les grands opérateurs, à commencer par Wallmart, de s’installer dans le pays. Même son de cloche américain pour ce qui est du secteur bancaire indien.
Mais Christophe Jaffrelot doute que Narendra Modi fasse des concessions, du fait de la conjoncture économique difficile que son pays traverse. Et les deux hommes ne devraient pas faire d’annonces conjointes spectaculaires.
« C’est là que l’on entre dans le dur : on a des chefs d’Etat et de gouvernement qui ne peuvent pas apparaître comme trop conciliants parce qu’ils ont été élus l’un et l’autre sur des thèmes tels que la défense de l’emploi qui gênent considérablement les mesures d’ouverture. »
Le chercheur craint donc que la visite se passe au mieux sur la forme mais qu’au final, « on n’en tire pas nécessairement beaucoup de substance », conclut Christophe Jaffrelot.
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