Kaboul tient à Sangin et le fait savoir. Le parachutage de renforts issus des forces spéciales vient épauler des troupes au sol débordées par les assauts talibans. Une manière aussi d’essayer de renverser le vent de pessimisme qui parcourt l’armée afghane.
Depuis dimanche 20 décembre, tous les indicateurs sont au rouge. Il y a eu d’abord ce message adressé au président Ashraf Ghani : sur sa page Facebook, le vice-gouverneur du Helmand estimait que la province était sur le point de tomber aux mains des talibans. Il y a eu ensuite ce retour d’un petit contingent de 90 Britanniques à Camp Shorabak, renforçant l’image d’une armée afghane incapable à elle seule de résister aux insurgés.
Changement de ton donc, car le gouvernement afghan ne veut surtout pas que se reproduise le scénario de Kunduz fin septembre. La prise, même temporaire, de Sangin ou du chef-lieu du Helmand, Lashkar Gah, risquerait d’aggraver encore l’image de forces de sécurité en déliquescence alors que le chef de l’armée pakistanaise est attendu à Kaboul afin de tenter de relancer les négociations de paix avec les talibans.
Un message difficile à faire passer. Outre l’armée, la police afghane a le moral dans les rangers. Harcelé, en manque de munition pour ses troupes, le chef de la police de Sangin aurait, selon la BBC, demandé au gouverneur du Helmand de creuser 200 tombes pour ses officiers.
Des soldats britanniques de retour sur place
Face à cette résurgence des talibans, des troupes de l’OTAN ont été envoyées en renforts à l’armée afghane. Parmi celles-là se trouvent des Britanniques. Ils ne sont qu’une poignée, mais ce sont les premiers soldats de Sa Majesté à se rendre sur place depuis leur retrait il y a un peu plus d’un an.
En octobre 2014, le dernier soldat britannique de combat se retirait d’Afghanistan, rappelle notre correspondant à Londres, Eric Albert. Le sentiment général n’était alors pas tant celui de la mission accomplie que du soulagement. Les Britanniques avaient eu jusqu’à 9 500 soldats sur place, et 456 étaient morts.
Leur principale mission s’était déroulée dans la province d’Helmand dans le Sud. La lutte avec les talibans, dans cette région où l’opium est produite est grande quantité, avait été féroce.
Et cela rend donc d’autant plus amère la résurgence des talibans sur place. Un officier de l’armée britannique, le major Richard Streatfield, qui a servi sur place, a même confié à la BBC qu’il estimait que c’était « extrêmement décevant » de voir le territoire pour lequel il s’était battu être repris si rapidement.
Pour faire face à la crise actuelle, l’armée britannique va envoyer en renfort une poignée de soldats. Ceux-ci ne sont qu’une dizaine environ, d’après la BBC. Ils seront dans une base de la province du Helmand, en soutien, et pas en situation de combat direct. Mais le symbole est fort. Quatorze ans après la prise de Kaboul par l’armée américaine et les troupes de l’OTAN, la situation afghane semble complètement embourbée.
■ Le jeu trouble du Pakistan
Avec notre correspondant à Islamabad, Michel Picard
Le Pakistan se cantonne officiellement au rôle d’observateur dans ces combats qui font rage dans la province du Helmand. L’armée pakistanaise a elle-même lancé une vaste offensive contre le terrorisme l’an dernier.
Or la frontière montagneuse est poreuse, ce qui permet aux talibans, dont les ethnies vivent à cheval sur les deux pays, de se réfugier régulièrement du côté de la frontière où le danger s’amoindrit. Ainsi, nombre de combattants pakistanais acculés ont rejoint l’Afghanistan où certains se sont joints aux talibans afghans.
Et c’est au Pakistan, parrain historique des talibans, que siège l’organe de direction des talibans, dans la ville de Quetta. Islamabad est accusé, par le biais de ses puissants services de renseignement, de soutenir le réseau islamiste Haqqani qui lutte aux côtés des talibans pour renverser le pouvoir en place à Kaboul. L’instabilité du régime afghan préserverait Islamabad d’un voisin revendicatif notamment sur les questions territoriales.
C’est dans ce contexte que le puissant chef de l’armée pakistanaise, le général Raheel Sharif, est attendu à Kaboul d’ici la fin du mois. Il a reçu le soutien de Washington et apparaît comme interlocuteur légitime des talibans pour les ramener à la table des négociations. Difficile de savoir si les récents assauts d’envergure des talibans visent à peser sur les négociations pour obtenir davantage de concessions ou s’il s’agit simplement d’une volonté de saboter ces discussions que l’on annonce pour mi-janvier.