Des coupes géantes en bois laqué avec des couleurs vives sur un tissu de chanvre. Ainsi Korea Now nous propulse dans la création coréenne. Le rouge, le bleu, le jaune, le vert, le blanc et le noir sont les couleurs traditionnelles de ce pays que Chung Hae-cho met majestueusement en scène avec son œuvre intitulée Au rythme des 5 couleurs (2015). Une variation sur un savoir-faire ancestral de l’un des plus réputés artisans laqueur contemporains du pays qui fait dire à Karine Lacquemant, l’une des six commissaires de l’exposition : « J’avais envie de montrer la scène contemporaine de la Corée du Sud qui est méconnue en France et en Europe, parce que la Corée a été toujours un peu dans l’ombre de ses deux puissants voisins, la Chine et le Japon. »
Ancré dans le passé
Une histoire tumultueuse avec l’occupation japonaise jusqu’à 1945 et la division du pays après la guerre de Corée en 1953 a fait que le pays a commencé à émerger réellement qu’à partir des années 1960. Depuis, il y avait visiblement une prise de conscience chez les artistes de leur identité et de leurs racines : « Tout ce qu’on montre ici est vraiment ancré dans le passé. Il y a toujours un lien passé-présent, toujours une osmose entre le passé et la modernité. Il n’y a pas la même dialectique comme en France où il y a d’un côté le passé et de l’autre le présent. Ils ont une autre vision. »
Un peu plus loin, on aperçoit une table et un banc en bois qui nous invite à nous s’asseoir. Chacun appuyé sur une pierre, ces deux meubles nous impressionnent par leur simplicité organique et une beauté époustouflante. Pour le designer Byung Hoon Choï, « c’est l’origine des matériaux qui est très importante. C’est le rapprochement entre les humains et la nature. Quand on parle de l’art asiatique, l’art chinois est plutôt technique, très sophistiqué. Le Japon a aussi quelque chose de très sophistiqué et plus chargé. L’art coréen est posé, avec une harmonie entre la nature et les humains. Très sobre. »
Grâce à cette exposition, « l’art coréen aura aussi une place entre le Japon et la Chine », poursuit Byung Hoon Choï qui souligne que dans les habitations en Corée, il y a moins de meubles qu’en Europe ou aux États-Unis. C’est la raison pour laquelle le marché européen et américain est si important pour lui.
Comprendre la nature
Rheem Mi-sun, commissaire coréenne de l’exposition, insiste bien sur la spécificité d’une esthétique coréenne : « Je ne dirais pas qu’elle est minimaliste, elle est dynamique et variée, mais il y a une certaine sobriété et sérénité où moins est plus. Ce sont des formes et des couleurs simples, on n’aime pas mélanger les couleurs. En Corée, tout est basé sur la nature, les montagnes, l’océan, les arbres. Les designers étudient les matériaux et les techniques, mais ils essaient surtout de comprendre la nature. »
Un cabinet qui ressemble à une grande boite d’allumettes avec des bandes élastiques colorées qui remplacent la fonction de la porte. La création du designer Soh Eun-myung nous laisse aussi bouche bée comme cet abat-jour modulable en papier coréen de Song Seung-yong ou des chaises avec des couleurs fondues dans la résine de Park Won-min. Les visions de cette vie quotidienne esthétisée incluent aussi bien des colliers extravagants en nacre et platine de Yun Sang-hee que la théière Watering II sculptée en argent de Kim Dong-huyn ou les tableaux en porcelaine de Choi Hong-sun qui se réfère à l’époque de la dynastie Joseon (1392-1910).
« Le but de l’exposition est bien sûr de susciter de l’intérêt pour le design contemporain, mais je voulais aussi montrer l’origine de ce design pour mieux comprendre, affirme Rheem Mi-sun. C’est une question de sentiments, parce qu’il n’y a pas seulement le K-pop, Samsung, Hyundai… Nous avons une culture avec une très longue histoire qui continue. »
La mode et le graphisme
Une histoire déclinée par l’exposition aussi dans les domaines de la mode et du graphisme. 120 silhouettes et accessoires aux couleurs codifiées nous donnent un aperçu de la diversité vertigineuse de la couture coréenne : du noir punk au rouge vital en passant par les réinterprétations du costume et de l’accessoire traditionnels, le hanbok et le norigae, jusqu’aux pliages traditionnels coréens ou l’univers du Hip Hop et K-pop. Le tout raconté par les plus grands créateurs de mode en Corée : Jin Te-ok, Lee Young-hee, André Kim et Sul Yun-hyoung, mais aussi par les jeunes créateurs comme Lee Suk-tae, Kwak Hyun-joo ou Choi Chul-yong.
Dans les salles du musée des Arts décoratifs, on découvre aussi l’épopée de l’écriture coréenne, le hangul, inventé au 15e siècle pour trouver la parade face au chinois, mais l’emploi de cette écriture s’est généralisé beaucoup plus tard. C’est seulement après la Seconde Guerre mondiale que les 27 lettres de l’alphabet coréen ont été réellement adoptées pour remplacer les 40 000 idéogrammes chinois. Ainsi la créativité de la typographie est devenue aujourd’hui l’un des atouts majeurs du graphisme coréen et a produit une incroyable effervescence dans les studios de design graphique dont de nombreuses affiches témoignent d’une véritable explosion de créativité.
► Korea Now !, exposition au musée des Arts Décoratifs, Paris, du 19 septembre au 3 janvier 2016, dans le cadre de l’Année France-Corée 2015-2016.