Pour Kampei Shimoide, le maire de Minami-Kyushu, ville située à proximité de celle de Chiran où se trouvait l’une des bases de pilotes kamikazes et qui abrite aujourd’hui une muse et un sanctuaire en leur mémoire, sa demande n’est pas une tentative de glorifier, de romancer ou de justifier l’héritage historique des kamikazes.
En recueillant plus de 300 lettres d’adieu - certaines écrites avec le sang des pilotes - le maire veut seulement témoigner de la brutalité de la guerre du Pacifique. De fait, près de 10 000 jeunes pilotes, surnommés les kamikazes ou « vents des dieux » sont ainsi morts dans des opérations suicides entre 1944 et 1945, alors que la guerre avec les Etats-Unis commence à tourner au désavantage du Japon.
Les chasseurs Zéro qu’ils utilisent pour se jeter avec une bombe de 250 kilos contre des navires de guerre américains sont des cercueils volants. Le taux de réussite des attaques aux Philippines d’abord, puis près d’Okinawa ne dépasse pas 15 à 20 %.
Des kamikazes non fanatiques
Mais tous ces pilotes n’étaient pas fanatiques, ni même volontaires. Après les attaques du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, l’amalgame a été pratique à l’étranger avec les terroristes. Ce qui ne manque pas d’indigner les derniers pilotes kamikazes encore vivants, qui ont survécu parce que la défaite est survenue avant qu'ils ne reçoivent l’ordre de voler.
Les terroristes, disent-ils, agissent par haine et visent des civils. Les pilotes kamikazes entaient des soldats qui exécutaient un ordre et dont les objectifs étaient militaires. Dans leurs lettres d’adieu, les pilotes kamikazes donnent d’ailleurs une image bien différente de celle de fanatiques, même si parmi eux il y avait certainement.
Il n’y a jamais eu de tradition d’attaques suicide dans le code d’honneur du guerrier japonais, depuis le temps des samouraïs. Avant leur départ, les pilotes kamikazes doivent rédiger un testament officiel. Ils doivent évoquer la « grande cause » pour laquelle ils vont mourir. Mais ils remettent secrètement aux employés de la base leurs derniers messages à leur famille. Et l’un d’entre eux écrit : « il n’est pas vrai que je veux mourir pour l’empereur. »
Des chercheurs se penchent sur ces lettres
Depuis une dizaine d’années, des chercheurs américains et japonais se penchent sur ces lettres d’adieu de kamikazes que le maire de Minami-Kushu veut remettre à l’Unesco. Dans son livre Kamikaze Diaries, l’anthropologue Emiko Ohnuki-Tierney reconstruit des pans de ces vies de kamikazes à partir de leurs lettres ou journaux secrets. « Loin de moi l’idée d’exonérer le Japon des atrocités commises mais les kamikazes sont une illustration de la vulnérabilité humaine à se laisser entraîner dans les pires tragédies », écrit-elle.
L’Unesco refuse d’intégrer ses lettres de kamikazes à sa liste Mémoire du monde sous la pression de la Chine qui accuse le Japon de glorifier les kamikazes. Dans les années 1970, la littérature et le cinéma japonais ont traité la saga des kamikazes sur le registre nationaliste ou sentimental. Morts pour un absolu. Mais aujourd’hui, les kamikazes sont dépolitisés.
Dans ces lettres, les historiens recherchent la vérité intime des pilotes. Les journaux laissés par des kamikazes contiennent des citations de Kant, Goethe, Rousseau. Certains sont idéalistes, romantiques, parfois marxistes ou chrétiens. Ils s’interrogent sur le sens de la vie.
C’est donc au tour de l’Unesco de se questionner sur son refus d’accepter ces lettres d’adieu de kamikazes.