Birmanie: état d'urgence décrété dans la région du Kokang

Plus on s’approche de la paix, et plus elle s’éloigne. C’est le constat que l’on peut dresser en Birmanie, où les conflits ethniques se multiplient dans le nord du pays. Trois rébellions combattent actuellement l’armée gouvernementale. L’armée birmane a admis de lourdes pertes et le gouvernement a décrété l'état d'urgence dans la région du Kokang, frontalière avec la Chine.

De notre correspondant à Rangoon,

Une cinquantaine de soldats birmans et treize rebelles ont péri dans des combats depuis la semaine dernière le long de la frontière chinoise, dans la région du Kokang. L’armée a reconnu qu’elle mène des raids aériens sur les positions des rebelles. Quelque 30 000 personnes auraient fui vers la Chine voisine, dans la province du Yunnan. Les témoins relatent des combats de rue dans une ville frontalière.

La région du Kokang est une zone de production d’opium. Depuis le début de l’année, toujours dans le nord de la Birmanie, les régions kachin et palaung se sont aussi embrasées. Ces contrées sont riches en pierres précieuses et en minerais, des ressources qui attisent les convoitises. L’armée comme les insurgés souhaitent contrôler ces territoires.

Pourquoi maintenant ?

Ce qui frappe, c’est le calendrier. Tout début janvier, le président birman avait annoncé qu’il souhaitait signer un accord de cessez-le-feu national avec une quinzaine de rébellions armées en Birmanie. Il avait fixé une date : le 12 février. Mais peu après son annonce, les combats reprenaient dans le nord du pays.

Tout cela donne l’impression que certaines parties aux conflits ont intérêt à ne pas conclure la paix. L’économie de contrebande profite à certains groupes en période de guerre. L’armée a annoncé avoir arrêté plus d’une centaine de personnes impliquées dans le commerce illégal de bois précieux en début de mois dans l’Etat kachin.

Démocratisation en danger

Le président birman avait promis de conclure la paix avec les rébellions ethniques. Depuis des décennies, ces dernières demandent davantage d’autonomie. Il s'agit d'une étape essentielle dans le processus de démocratisation en Birmanie. Mais Thein Sein n’y parvient pas.

Chaque fois que le chef de l'Etat essaie d’accélérer le processus de négociations, de nouveaux combats éclatent. Il semble d’ailleurs que M. Sein a une faible autorité sur l’armée. Il avait déjà ordonné la fin d’une offensive dans l’Etat kachin, et les combats s’étaient poursuivis.

Vers un durcissement ?

Thein Sein a promis de ne pas céder un pouce de territoire -où l’état d’urgence a été décrété- à la rébellion kokang, a-t-on appris mardi 17 février. L’armée se montre aussi plus ferme ; elle a menacé de poursuites judiciaires ceux qui relaieraient des accusations portées contre elle suite aux viols et aux meurtres de deux jeunes enseignantes le mois dernier dans l’Etat kachin.

L’an dernier, une association de défense des droits de l’homme avait accusé l’institution militaire d’utiliser le viol comme arme de guerre en Birmanie. Cette ONG avait recensé une centaine de cas commis par des soldats en trois ans.


Le nord de la Birmanie, une zone au croisement des complexités régionales

La globalisation de l’économie birmane dérange l’aile dure de la junte birmane, mais aussi les puissances voisines comme la Chine, et les trafiquants. C'est ce qu'explique à RFI Jean-Michel Lacombe, ambassadeur de France en Birmanie entre 2003 à 2007, et aujourd’hui chargé d’enseignement à Sciences Po Paris.

« La zone du Kokang est une zone où il y a une minorité chinoise adossée au Yunnan. C’est une zone de trafic importante. Donc, vous avez tous les ingrédients : à la fois des gens dont on dérange les habitudes de trafic, la Chine qui est juste à côté, et probablement l’aile dure de l’armée qui estime qu'il faut maintenant intervenir fermement, analyse le chercheur.

La Chine, en ce moment, est en train de rappeler que rien ne peut se faire sans elle. D’abord, il y a des réfugiés, qui sont de la minorité ethnique chinoise qui vit en Birmanie et qui sont repartis en Chine. Et puis, tout ce qui se fait dans cette région est pour la Chine important, parce qu’elle veut pouvoir évacuer le pétrole du Moyen-Orient avec un 'pipe-line' qu'elle a construit et qui traverse cette partie de la Birmanie. » 

Partager :