Yingluck Shinawatra destituée: un tournant dans la crise thaïlandaise

La Cour constitutionnelle a jugé la Première ministre coupable d’abus de pouvoir dans l’affaire de la révocation du chef du Conseil de sécurité nationale en 2011. Les juges ont estimé qu'elle avait abusé de son statut en nommant à sa place un proche de la famille. Neuf ministres impliqués dans ce dossier ont également été destitués. Yingluck Shinawatra a été immédiatement remplacée par le ministre du Commerce chargé d’assurer l’intérim. Retour sur la crise politique qui agite le pays depuis novembre 2013.

La décision de la Cour constitutionnelle est une victoire partielle pour l’opposition qui réclame la chute du gouvernement depuis six mois. Elle évite la vacance du pouvoir, mais aggrave encore l’instabilité politique. Tout a débuté fin octobre par une proposition de loi d'amnistie qui aurait permis le retour de Thaksin Shinawatra, le frère de Yingluck. Ancien Premier ministre, il s'était exilé à la suite du coup d'Etat de 2006 pour échapper à la prison dans une affaire de malversation financière.

Ce projet de loi a très vite été retiré, mais la contestation était lancée. Car les chemises jaunes – comme est couramment nommée l'opposition – veulent évincer depuis de nombreuses années la famille Shinawatra et ses partisans, les chemises rouges, de la scène politique. Le clan Thaksin est accusé de corruption généralisée.

→ A (RE)LIRE : Thaïlande: destitution de la Première ministre Yingluck Shinawatra

Sur le plan institutionnel : la crise a provoqué dans un premier temps la démission des députés de l'opposition, puis la dissolution de l’Assemblée fin décembre et des élections législatives anticipées en février. Mais l'opposition a boycotté et fortement perturbé le scrutin, qui a été invalidé. Par ailleurs, la Commission anticorruption poursuit Yingluck Shinawatra pour négligence dans la gestion du programme gouvernemental d'aide aux riziculteurs. Elle risque dans cette affaire d'être interdite d'activité politique pendant cinq ans. D’autres procédures pour corruption sont en cours contre des membres de la majorité.

Dans la rue, le mouvement a connu plusieurs phases : fin novembre, près de 180 000 personnes manifestaient à Bangkok. Pendant plusieurs semaines, elles ont occupé des ministères et des bâtiments officiels. De mi-janvier à fin février une opération de blocage de la capitale a mobilisé des dizaines de milliers de personnes. Ces manifestations ont fini par s'essouffler. Au cours de ces six mois, on déplore 25 morts et plusieurs centaines de blessés.

Chemises rouges au nord, chemises jaunes au sud

C'est la quatrième fois qu'un gouvernement des chemises rouges est destitué par la Cour constitutionnelle ou contraint à la démission, depuis 2006. Car si le suffrage universel est systématiquement favorable aux chemises rouges, dont les sympathisants sont largement majoritaires, les chemises jaunes sont très influentes dans les institutions judiciaires.

La puissante famille Shinawatra a une base très solide dans le nord et le nord-est du pays, principalement chez les paysans qui représentent une grande partie de la population. Mais les chemises rouges ne comptent pas que des inconditionnels du clan, impliqué dans de nombreuses affaires d'évasion fiscale, de malversations, etc. Une partie du mouvement social thaïlandais l’a rejoint. Thaksin Shinawatra a en effet été le premier à mettre en place des mesures sociales comme l’accès gratuit à la santé.

Le mouvement des chemises jaunes, dont la base est dans le sud du pays et parmi les élites de la capitale, a considérablement évolué ces derniers mois. Son noyau dur comprend les ultras monarchistes [le jaune est la couleur du roi, NDLR] et le Parti démocrate. Il compte aussi les militants de l’extrême droite. Mais il a été rejoint par une partie des classes moyennes qui réclament davantage de démocratie et veulent en finir avec une corruption réelle même si elle n’est pas propre au pouvoir en place.

De nouvelles élections législatives doivent se tenir le 20 juillet, mais le Parti démocrate a déjà annoncé qu’il boycotterait le scrutin. Il demande qu'un gouvernement intérimaire technique soit nommé pour réformer le système politique et institutionnel du pays.

Partager :