«Les Etats-Unis sont un parapluie contre la Chine»

Le président américain Barack Obama a entamé ce mercredi 23 avril sa tournée en Asie : Japon, Corée du Sud, Malaisie et Philippines. Dans quel contexte, avec quels objectifs, quels enjeux ? Jean-Vincent Brisset, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), apporte ses réponses.

Plusieurs objectifs vont rythmer cette tournée. La première étape se passe au Japon avec notamment de gros enjeux économiques. En toile de fond, le Partenariat transpacifique (TPP). Où en est-on aujourd’hui ? Qu’attend-on, à la fois du côté américain et du côté japonais ?

Jean-Vincent Brisset : Ce TPP est une ouverture de plus en plus grande, une suppression des barrières douanières, et de barrières psychologiques des deux côtés. C’est un traité de libre-échange qui est en train de se mettre en place entre les deux rives du Pacifique, du moins entre les pays qui l’acceptent, c’est-à-dire les Etats-Unis d’un côté et, petit à petit, un certain nombre de partenaires asiatiques.

On sait que Tokyo avait émis quelques réserves, notamment concernant le dossier agricole. Qu’en est-il ?

Le problème de Tokyo, c’est sa paysannerie. Le domaine agricole est très préservé au Japon, en particulier la riziculture, et passer à un modèle beaucoup plus libéral gêne Tokyo, en particulier parce qu’il y a des enjeux électoraux derrière. Il y a quand même une importance de cette agriculture. Il va donc falloir ménager les différentes possibilités et ne pas ouvrir brutalement le marché japonais à des importations venant des Etats-Unis en particulier.

Barack Obama arrive dans un contexte de tensions qui s’aggravent entre Tokyo et Pékin autour des fameuses îles Senkaku-Diaoyu en mer de Chine orientale, des îles administrées par le Japon et revendiquées par la Chine. De quelle marge de manœuvre dispose Barack Obama pour ne froisser personne ?

Je ne sais pas si le problème est de froisser ou de ne pas froisser, pour Barack Obama. Les Etats-Unis ont administré ces îles avant qu’elles soient rendues au Japon par Washington. Il y a eu des problèmes presque administratifs dans la rédaction de certains traités qui font que les Japonais s’estiment parfaitement légitimes à revendiquer la souveraineté complète sur ces îles. Les Etats-Unis ne peuvent pas dire que ces îles sont chinoises. D’autant plus que les revendications chinoises sont extrêmement récentes. On est dans une situation où ce n’est pas seulement le Japon qui est concerné, ce sont surtout les pays riverains de la mer de Chine orientale et de la mer de Chine du Sud qui se sentent menacés par l’action relativement impérialiste, hégémoniste des Chinois, et qui donc demandent aux Etats-Unis de leur apporter des garanties. Les garanties existent techniquement avec le Japon et la Corée du Sud, dans le cadre des traités d’alliance. Parce qu’il y a vraiment des traités d’alliance, ce qui n’est pas le cas avec les Philippines et la Malaisie.

Barack Obama a clairement pris position pour les Japonais dans cette affaire. D’ailleurs, il ne se rendra pas en Chine au cours de cette tournée asiatique. Comment l’interprétez-vous ?

Je suis un peu surpris qu’on veuille absolument qu’à chaque passage au Japon, Barack Obama soit obligé d’aller également en Chine. Quand on fait déjà une tournée dans quatre pays, on n’est pas obligé de passer par la Chine. La Chine essaie de se positionner comme un point de passage obligé. Elle revient dans cette tradition de la vassalité vis-à-vis de l’empereur. Pour aller voir un des vassaux, il faudrait d’abord aller se présenter devant l’empereur.

C’est pour ménager la chèvre et le chou ?

Non, c’est une volonté chinoise. C’est une dialectique chinoise qui n’est pas seulement la dialectique du régime actuel. C’est une dialectique impériale chinoise. Les Etats-Unis ne jouent pas dans cette dialectique parce qu’il n’y a aucune raison, dans les relations internationales, d’aller se prosterner devant un pays quand on va en voir un autre.

Après le Japon, il y aura la Corée du Sud. Quelles sont les attentes de Séoul envers Washington ?

La Corée du Sud a besoin de garanties vis-à-vis de la Corée du Nord, mais elle a aussi besoin du soutien des Etats-Unis. Elle a des revendications territoriales. Des problèmes avec la Chine, en particulier avec cette espèce de zone aérienne qui a été décrétée unilatéralement par la Chine. Et aussi un problème sur certaines îles, qui sont revendiquées à la fois par le Japon et par la Corée du Sud. La Corée du Sud va demander aux Etats-Unis, sur le plan stratégique, de ne pas aider trop le Japon au détriment de la Corée du Sud. C’est donc un équilibre qui est demandé, en échange de quoi la présence militaire américaine en Corée du Sud est maintenue.

Et pour ce qui est des Philippines et de la Malaisie, que doit-on attendre de cette visite ?

C’est assez intéressant, parce que les Philippines et la Malaisie, riveraines de la mer de Chine du Sud, sont très directement menacées par les Chinois. Surtout les Philippines. Il y a quelques années de cela, les Philippines avaient une présence militaire américaine importante sur deux énormes bases, Subic Bay et Clark, qui accueillaient plusieurs milliers de militaires américains. Pour des histoires un peu sordides de loyers, de paiements et autres, les Philippins avaient fait partir les Américains en refusant de renouveler les baux. A l’heure actuelle, menacées par les Chinois, les Philippines, dont l’armée était complètement tombée en décrépitude, sont en train de demander l’aide des Etats-Unis. A la fois contre les Chinois et pour redevenir une puissance un peu plus forte.

Cela veut dire que la région a obligatoirement besoin des Etats-Unis, en tout cas militairement ?

Obligatoirement, non. Mais les Etats-Unis se présentent comme un parapluie commode et de bonne volonté. Ces pays-là savent très bien que la Chine essaiera de diviser l’Asean. Elle a déjà très bien réussi en achetant le Cambodge l’année dernière. Elle va tenter d’empêcher à tout prix qu’il y ait une union contre la Chine des pays riverains de la mer de Chine du Sud. Les Etats-Unis apparaissent à ces pays-là comme un moyen de se préserver sans aller forcément vers une alliance, que la Chine pourrait considérer comme tournée directement contre elle.

Est-ce qu’on peut dire qu’aujourd’hui le continent asiatique est devenu la priorité du président américain ?

Les Etats-Unis ont équilibré leurs priorités. Ils sont un petit peu désespérés d’une certaine inefficacité de l’Europe, qui les arrange sur le plan économique mais les gêne sur le plan sécuritaire. D’un autre côté, ils savent très bien que la croissance, à l’heure actuelle, est plutôt de l’autre côté du Pacifique que de l’autre côté de l’Atlantique. Donc ils ont fait ce qu’on appelle le « pivot » . Certains ont dit qu’on dégarnissait l’Occident pour garnir l’Orient. Ce n’est absolument pas vrai. On a dégarni l’Occident pour faire des économies, et on a modifié les équilibres à l’intérieur de l’Orient, en particulier en diminuant les présences américaines en Corée du Sud et au Japon, pour aller un peu plus vers les Philippines, la Thaïlande, la Malaisie et l’Australie.

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