Ce China Leaks est en fait la suite de l'opération Offshore Leaks, lancée en avril dernier par l’ICIJ, consortium international de journalistes d’investigation basé à Washington auquel est associé, côté français, le journal Le Monde.
Au départ des révélations, il y a la fuite d’un disque dur contenant les données de deux fournisseurs de services offshore basés à Singapour et aux Iles Vierges britanniques. Deux millions 500 mille documents permettant d’établir qui cachait quoi et où. Le résultat de ce minutieux travail d’enquête avait permis dans un premier temps de révéler l’existence des comptes offshore de l’ancien trésorier de François Hollande, ou encore les fortunes cachées du président du Zimbabwe Robert Mugabe et de la fille de l’ancien dictateur philippin Ferdinand Marcos.
Mais la partie des informations concernant l'évasion fiscale en Chine et à Hong Kong a nécessité plusieurs mois de travail supplémentaire, notamment en raison d'erreurs de transcription ou de traduction du chinois dans les fichiers d'origine.
Les limites de la lutte contre la corruption en Chine
Ces révélations fracassantes éclairent autrement la vaste campagne anticorruption lancée par le dirigeant chinois Xi Jinping en 2012. La probité dont se targue le chef de l'Etat va être sérieusement mise à mal. Le beau frère de Xi Jinping, Deng Jiagui, multimillionaire, promoteur immobilirer, qui possède 50% d'une société offshore aux Iles Vierges britanniques, est ainsi épinglé par l'enquête. Parmi les 22 000 noms du fichier, on retrouve l'élite du pays et surtout la génération des « princes rouges », les enfants des cadres historiques du parti qui ont surfé sur l'ouverture de la Chine communiste à l'économie de marché dans les années 80.
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On trouve aussi des membres de l'Assemblée nationale populaire, des généraux et des dirigeants d'entreprises. Ce que révèle cette enquête, publiée en France par le journal Le Monde, c'est qu'aucun secteur d'activité n'échappe au phénomène. Au total ces pratiques d’évasion fiscale représentent plus de 3 000 milliards d’euros de pertes pour l’Etat chinois.
De grandes banques occidentales comme l'Américaine JP Morgan ou la Suisse UBS sont citées dans cette enquête qui démonte plusieurs opérations complexes et peu transparentes. Il apparaît que la deuxième économie du monde fait le bonheur des professionnels de l'offshore : selon une enquête récente la Chine est désormais le principal moteur de croissance du secteur.
Des révélations qui n'ont pas franchi la Muraille de Chine
Il est impossible d’accéder au Monde.fr, au Guardian, ou encore au site du quotidien espagnol El Pais depuis ce matin en Chine, sans un VPN un tunnel informatique qui permet de contourner la censure, explique notre correspondant à Pékin Stéphane Lagarde.
Même chose pour le site de l’ICIJ, le consortium de journalistes enquêteurs à l'origine de cette enquête et des révélations qui disent tout haut ce que la rue chinoise est contrainte de penser tout bas : le pouvoir enrichit en Chine et certains proches de l’aristocratie rouge ont visiblement pris au pied de la lettre le slogan de Deng Xiaoping : « Enrichissez-vous ! »
Le pouvoir chinois est très sensible à ce genre d’information, alors que des militants du « Mouvement des nouveaux citoyens », qui réclament la publication du patrimoine des officiels, sont jugés pour « trouble à l’ordre public » ces jours-ci à Pékin.
Ces révélations éclaboussent en effet jusqu’au « Monsieur Propre » du parti, le président Xi Jinping lui-même, qualifié de champion de l’anticorruption par les médias d’Etat, mais dont le beau frère, Deng Jiagui, est soupçonné selon l’ICIJ d'avoir placé une partie de ses avoirs dans les Iles Vierges.
Ce mercredi soir la Chine n’a donc pas entendu parler de l’Offshore Leaks. L’Internet a été très fortement perturbé dans la nuit et ce matin mercredi, le temps pour la censure d'effacer toute allusion à l’enquête sur les réseaux sociaux. Ce fut déjà le cas par le passé lors des révélations de l’agence Bloomberg sur la fortune de la famille du chef de l’état, ou celle du New York Times concernant celle du Premier ministre.
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