Rahul Gandhi à la tête de la campagne du Parti du Congrès indien

La plus grande démocratie du monde se rend aux urnes dans quelques mois pour les élections législatives. Il n'y a pas de date précise fixée pour le moment, ce devrait être en avril ou en mai. En attendant les partis se mettent en ordre de bataille, les nationalistes du BJP, le Bharatiya Janata Party, ont déjà donné le nom de leur candidat au poste de Premier ministre, Narendra Modi. L’autre grand parti de la vie politique indienne, le Parti du Congrès, devait à son tour indiquer le nom de son champion ce vendredi, Rahul Gandhi. C’était sans compter sur Sonia Gandhi, présidente du parti et mère de Rahul.

Avant l’entrée en politique de Rahul Gandhi il y a dix ans, la « dynastie Nehru-Gandhi », comme on l’appelle, avait déjà donné quatre générations d’hommes politiques de premier plan au pays. L’arrière-arrière-grand-père, Motilal Nehru a été président du Congrès dans les années 20, lorsque l’Inde était encore une colonie britannique ; l’arrière-grand-père, Jawahrlal Nehru, est devenu le premier chef du gouvernement du pays lors de l’indépendance en 1947. La grand-mère, Indira Gandhi, deux fois Premier ministre, fut assassinée en 1984. C’est son fils Rajiv, le père de Rahul, qui l’a alors remplacé. Sonia Gandhi, la mère de Rahul, devait elle aussi devenir Premier ministre après avoir mené le Congrès à la victoire en 2004, mais après une campagne des nationalistes du BJP dénonçant ses origines italiennes, elle fut obligée de choisir pour ce poste un autre membre du parti, Manmohan Singh, ce qui ne l’a pas empêchée de rester à la tête du Congrès et d’avoir une grande influence sur le chef du gouvernement et sa politique.

Un second mandat difficile

Manmohan Singh a indiqué qu’à plus de 80 ans, il ne se présenterait pas pour un troisième mandat. D’autant que le second a été difficile, grevé par des scandales économiques (des malversations dans l’attribution de marchés publiques entre autres dans la téléphonie mobile et l’énergie). Les sondages sont en berne, le candidat du BJP est en tête, de loin. Et Aam Aadmi, le nouveau parti qui s’est créé il y a un an sur un ras-le-bol généralisé de la corruption, a réussi à conquérir la ville de New Delhi. Le Parti du Congrès a donc décidé de revenir à ses fondamentaux, et de prendre une figure, un « Nehru-Gandhi » pour mener sa campagne. Ce sera donc Rahul Gandhi, 43 ans, célibataire, fils de Sonia et Rajiv Gandhi. Mais le choix ne s’est pas fait de lui-même : « Au début on s’est posé la question de savoir s’il allait faire de la politique ou si c’était sa sœur ; en vérité dans le pays sa sœur Priyanka a plus de charisme que lui », explique le chercheur au CNRS Max-Jean Zins. Mais finalement Rahul décide d’entrer en politique, et il s’engage véritablement, de manière très dynamique : « Et c’est peut-être la raison pour laquelle ils (NDLR : les membres du Congrès) veulent Rahul, parce que la dynamique est en train de se casser, et qu’ils se disent que sans cet homme, ce n’est pas possible de créer un semblant de dynamique ».

Rahul, jeunesse et continuité

On connaît le programme de Rahul. C’est celui que les dirigeants du Congrès ont toujours mis en avant : la promesse de faire fonctionner le mieux possible cette immense démocratie multiculturelle et multi-religieuse qu’est l’Inde, tout en rappelant l’importance historique du parti dans la création et la construction du pays. Rien de nouveau sous le soleil, reconnaît le chercheur au CNRS Jean-Luc Racine, mais pour autant, Rahul est peut-être le bon candidat face à celui de la droite nationaliste du BJP, puisque Narendra Modi « a justement derrière lui le souvenir des massacres antimusulmans de 2002 dans l’Etat du Gujarat, dont il était le chef du gouvernement ». Deux mille personnes avaient été tuées, et Narendra Modi avait été accusé de ne pas avoir pris la mesure de ces violences voire d’en avoir autorisées.

Mais la promesse d’une Inde apaisée sera-t-elle suffisante ? Le second mandat de Manmohan Singh sous la bannière du Congrès n’a pas été seulement marqué par les scandales, mais aussi par la crise économique mondiale : la croissance est aujourd’hui à 5%, ce qui est peu pour un pays qui s’enorgueillissait de ses 9 % annuels avant 2008. Et face à ces difficultés, le pays bouge explique Max-Jean Zins : « On a une Inde qui se cherche, qui essaye de se trouver des voies face aux difficultés : un développement très important pour une petite partie de la population, une misère de masse qui continue à se développer, des gens nouveaux qui arrivent en politique et qui essayent de se faire une place au soleil n’importe comment, des gens qui veulent savoir lire et écrire, qui veulent plus manger, une politique libérale qui pose un très grand nombre de problèmes au niveau de la survie sociale des gens ». Face à ce mouvement, le BJP ou le Parti du Congrès apparaissent surtout comme des partis traditionnels, « et la figure de Rahul Gandhi n’est pas suffisante à mon avis pour contrer cette dégradation de l’image du Parti du Congrès » estime Max-Jean Zins.

Coup de théâtre

De fait, à en croire un sondage publié par le Times of India la semaine dernière, à peine 14 % des votants pensent que Rahul Gandhi ferait un bon premier ministre, contre 25 % pour Arvind Kejrival, le chef du parti anti-corruption et 58 % pour Narendra Modi, le chef du BJP. Le Parti du Congrès en troisième position, et avec un si petit score, ce serait du jamais vu… Est-ce à cause de ces mauvais sondages, est-ce pour protéger son fils d’une défaite trop cuisante, que jeudi soir, Sonia Gandhi a pris tout le monde de court lors d’une réunion du parti ? Les responsables du Congrès venaient de faire part de leur désir que ce soit bien Rahul Gandhi qui devienne Premier ministre en cas de victoire aux législatives. Rahul Gandhi venait d’accepter cette responsabilité. Tout semblait donc être sur les rails pour rendre cette décision publique ce vendredi, et donner peut-être un coup de fouet à la campagne.

Seulement voilà : lorsque la très puissante présidente du Congrès a pris la parole, ça a été pour expliquer que ce n’était pas « dans la tradition du Parti » de donner son candidat au poste de Premier ministre avant les élections. Résultat : ce vendredi, la seule annonce sera la confirmation que c’est bien Rahul Gandhi qui mènera la campagne. Analyse de Jean-Luc Racine : Sonia Gandhi « qui est quand même une fine stratège a voulu affaiblir l’argument de l’opposition disant que la filiation dynastique était le seul principe que le parti du Congrès mettait en avant dans sa pratique démocratique. On est quand même dans une manière de faux semblant, puisque en principe qui mène la campagne devient de facto le leader qui a vocation à devenir Premier ministre en cas de victoire. » Une stratégie qui pourrait d’ailleurs se retourner contre le parti : « Le message va certainement attirer un certain nombre de critiques ou d’interrogations qui ne sont pas forcément du meilleur aloi, en gardant en mémoire les interrogations qui ont été formulées au fil des derniers mois sur Rahul Gandhi lui-même ».
 

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