RFI : Selon les informations en votre possession, quelle est la situation ? Est-ce que c’est aussi grave qu’on le décrit partout ?
Elisabeth Byrs : Oui, c’est une situation extrêmement dramatique, étant donné qu’on va avoir à faire face à un défi logistique majeur. Beaucoup de personnes cherchent leur nourriture, cherchent leurs familles. C’est extrêmement difficile et ça va être très lent et très difficile de rejoindre les petites îles qui sont pour certaines coupées de tout, et où même les évaluations n’ont pas encore eu lieu. Donc, on pense qu’il y a 9,5 millions de personnes qui ont été affectées par ce typhon, et il y a 400 000 personnes déplacées à l’intérieur de la zone avec 1 400 centres d’accueil. Et bien sûr ces personnes doivent être nourries, on doit leur apporter de l’eau potable et aussi des abris.
Est-ce que le Programme alimentaire mondial a déjà débloqué une aide en faveur des Philippines ?
Le Programme alimentaire mondial avait prépositionné bien sûr des vivres. Mais elles avaient déjà été bien entamées par le tremblement de terre qui avait eu lieu dans la province de Bohol récemment. Nous envoyons par avion de nos entrepôts de Dubaï et de Kuala Lumpur, 44 tonnes des biscuits à haute teneur énergétique, ainsi que 2 000 tonnes de riz. Mais ces 44 tonnes de biscuits à haute teneur énergétique ne seront pas suffisantes. Il faudra continuer l’effort. Nous avons débloqué 2 millions de dollars pour acheter les premiers secours, mais il faudra d’autres contributions dans les semaines à venir, car ça va être une opération de grande ampleur.
L'acheminement de l'aide est très compliqué. Est-ce que vous êtes sûre que cette aide va parvenir aux sinistrés ? On a rapporté aussi des scènes de pillage dans certaines régions.
Oui, les scènes de pillage, j’allais dire, sont compréhensibles. Les gens sont à cran, ils n’ont plus rien à manger, ils marchent en haillons aux bords des routes. Et on peut comprendre qu’ils se jettent sur n’importe quelle source de nourriture, ou légumes, ou magasin qu’ils voient, malheureusement. Je crois que le gouvernement philippin va faire tout son possible pour – avec l’armée et les militaires – régler la situation. L’assistance va être en effet difficile à acheminer, puisqu' il faut six heures pour faire les 11 kilomètres qui séparent l’aéroport de Tacloban, le centre du typhon qui a été très touché, et le centre-ville de Tacloban. Six heures pour faire 11 kilomètres ! Les débris, les arbres, les routes impraticables. Il faudra héliporter, il faudra trouver tous les moyens pour apporter cette assistance. Et nous avons l’expertise pour le faire au PAM.
Est-ce que vous avez aussi les moyens ? Est-ce que les autorités philippines ont les moyens suffisants ou est-ce qu’il va falloir que vous importiez vous-mêmes des moyens techniques ?
Il va falloir bien sûr, aider le gouvernement philippin qui a demandé cette aide internationale et notamment a demandé au Programme alimentaire mondial de rétablir les télécoms, puisque nous avons cette expérience en télécommunication. Nous avons déjà envoyé sur place 300 kilos de matériel de télécommunication et notamment des radios digitales. Il va falloir aussi les télécommunications pour les travailleurs humanitaires sur le terrain, pour qu’ils puissent communiquer entre eux, pour qu’on puisse communiquer avec les quartiers généraux et coordonner. Et ça, avec la logistique, il est évident que nous aurons à importer des entrepôts mobiles, également des citernes d’essence mobiles. Il va falloir mettre ça en place, près de Tacloban, près de l’aéroport où est le premier centre de coordination et également à Cebu, où les avions militaires peuvent arriver, et essayer de faire venir le maximum d’assistance le plus vite possible. C’est une course contre la montre.
Alors vous nous le disiez, ce sera aussi une aide sur le long terme, au-delà des aides de première nécessité. Quelle sera la deuxième phase ? Comment va-t-on faire pour éviter une crise sanitaire majeure, car le risque est là aussi ?
Je crois que c’est le rôle, aussi bien des autorités que de l’OMS et de toutes les ONG et de la Croix-Rouge, qui s’occupent de ce genre de choses. Il faudra donner des conseils pour l’assainissement, pour les mesures d’hygiène. Des kits d’hygiène sont déjà disponibles. Je crois que la Croix-Rouge a déjà mis des tentes médicales mobiles. Il y aura certainement des vaccinations, car on sait qu’aux Philippines le taux de vaccination, notamment chez les enfants, est extrêmement faible. Donc il va falloir se prémunir par tous les moyens. Des pastilles de chlore ont été aussi prépositionnées par le gouvernement pour assainir l’eau. Parce que l’eau potable est aussi une des priorités pour que les gens n’attrapent pas de maladies liées justement à l’eau stagnante et qui peut être souillée par des déjections. Ça, c’est extrêmement grave et extrêmement important.
Cette région de l’Asie du Sud-Est est malheureusement assez fréquemment touchée par des catastrophes naturelles. On se souvient tous du tsunami en 2004, on a l’impression qu’il n’y a aucune leçon qui est tirée, aucune mesure qui est mise en place à titre préventif dans cette région. C’est encore une question de moyens, une question d’argent ?
Non, je ne pense pas. C’est un constat très sévère que vous faîtes. Non, les leçons sont tirées. Mais il n’y a pas une catastrophe qui ressemble à une autre catastrophe. Chaque pays est différent, chaque pays a des moyens de logistique différents, des façons de fonctionner différentes. Nous étions prêts pour ce typhon. De la nourriture avait donc été prépositionnée. Et des mesures avaient été prises. Mais vu l’ampleur du désastre, il est évident que là, on est confronté à quelque chose de vraiment majeur. Et la difficulté de se mouvoir et d’accéder à l’intérieur de la zone qui est sinistrée est bien sûr le premier défi. Le gouvernement philippin avait même installé du matériel, des gros bulldozers dans les endroits où il pensait qu’il y aurait des coulées de boue, des glissements de terrain. Mais même ce matériel de déblaiement ne va pas être suffisant. Et on sait très bien que pour faire venir du matériel, des machines de déblaiement importantes de l’étranger, cela prend du temps et c’est un cauchemar logistique.
Vous appelez déjà à un élan mondial de solidarité, comme on a pu le connaître lors du tsunami. C’est ce qu’il faudra ?
Oui, je pense qu’il faudra une mobilisation financière importante de la communauté internationale. Je pense que l’ONU va lancer dans les prochains jours un appel flash pour contribuer aux opérations des agences de l’ONU dont nous faisons partie. Mais je crois également que les dons privés sont les bienvenus et que toutes les ONG font de même actuellement, et qu’on voit un magnifique élan de solidarité qui se dessine.