Birmanie: les enjeux d'une transition démocratique peu tranquille

Les affrontements religieux qui s’intensifient à travers le pays fragilisent la transition démocratique en Birmanie. La politique de « compromis négociés » avec le pouvoir que prône l’opposante historique Aung San Suu Kyi attire des critiques.

Alors que la Birmanie est en proie à de nouvelles flambées de violences intercommunautaires, la dernière en date a éclaté le 29 mai dans le nord-est du pays opposant musulmans et bouddhistes, les grandes manœuvres politiques ont commencé en Birmanie en vue des élections législatives de 2015 qui promettent d’être une étape décisive vers la démocratisation de ce pays. Selon une récente déclaration de l’opposante Aung San Suu Kyi rapportée par le site d’information en ligne Irrawady, la LND (Ligue nationale pour la démocratie) que celle-ci dirige et le parti au pouvoir l’USDP (le Parti de la solidarité et du développement de l’Union) ont décidé de travailler ensemble pour amender la Constitution, dans le but de « réduire le rôle des militaires dans la vie politique, renforcer le fédéralisme et réformer la justice ».

Réformes constitutionnelles

Cette déclaration a été faite au terme d’une rencontre de trois jours qui a réuni à Rangoon, début mai, des représentants du gouvernement et des principaux partis politiques du pays, des universitaires, des porte-parole des minorités ethniques et des activistes issus de la société civile. Parallèlement, le Parlement a annoncé la création prochaine d’une commission composée de spécialistes du droit et d’intellectuels pour passer en revue les articles controversés de la Constitution. Les travaux de la commission devraient débuter en juillet.

La Constitution birmane, rédigée à l’initiative de la junte militaire qui a gouverné le pays pendant presque un demi-siècle (1962-2011), consacre la toute-puissance de l’armée, en lui réservant 25 % des sièges au Parlement. L’armée est d’autant plus puissante qu’elle garde aussi la haute main sur l’exécutif par le biais de l’USDP, parti au pouvoir composé essentiellement de notables de l’ex-junte militaire recyclés en civil. Enfin, cette Constitution, qui favorise la centralisation du pouvoir, est rejetée par les minorités ethniques birmanes qui sont en guerre avec le gouvernement central depuis quasiment l’indépendance du pays et réclament une administration fédéraliste permettant aux régions frontalières où vivent les minorités d’avoir une voix plus prépondérante dans la gestion de leurs vies et de leurs ressources naturelles immenses.

Si le fédéralisme et la place de l’armée dans la vie politique restent des questions majeures en attente de réponses, l’enjeu principal des réformes constitutionnelles qui semblent se dessiner risque de concerner essentiellement l’abrogation ou non de l’article 3 de la Constitution selon lequel toute personne mariée ou ayant des enfants avec un étranger ne peut pas accéder à la présidence. Cette disposition avait été créée de toutes pièces par les militaires pour écarter de la fonction suprême la dissidente Aung San Suu Kyi, qui a été mariée à un tibétologue anglais, décédé depuis. Les deux fils du couple, de nationalité britannique, vivent à l’étranger.

Or depuis son arrivée au pouvoir en mars 2011, l’actuel président, le général Thein Sein a ouvert très largement le champ politique en libérant des centaines de prisonniers d’opinion et en autorisant à la dirigeante de la LND, l’opposante historique au régime, à accéder à la Chambre basse du Parlement à la faveur des élections partielles survenues au printemps 2012. Si l’on en croit les déclarations faites par les proches du président lors de la récente visite de ce dernier aux Etats-Unis où il a été reçu par Barack Obama à la Maison Blanche, le gouvernement birman serait enclin à amender les articles controversés de la Constitution permettant à Aung San Suu Kyi de briguer la présidence.

Naïveté ou realpolitik ?

Pour sa part, l’intéressée, après avoir pendant longtemps entretenu une certaine équivoque sur la question de sa participation aux élections présidentielles, laisse désormais entendre qu’elle sera candidate si « c’est ce que veut le peuple ». Il n’en reste pas moins que la stratégie est compliquée à mettre en œuvre.

A preuve le silence assourdissant de la « Dame de Rangoon » sur les affrontements entre bouddhistes et minorités musulmanes qui ensanglantent les provinces du nord depuis un an. Ces affrontements ont fait environ 200 morts et provoqué le déplacement de 140 000 personnes, notamment parmi la population rohingya d’obédience musulmane, qui vit dans l’Etat de l’Arakan, dans le nord-ouest du pays. Aung San Suu Kyi n’a pas condamné les émeutiers qui appartenaient à la majorité bouddhiste, sans doute de peur d’aliéner ses futurs électeurs. Paradoxalement, le gouvernement issu de la junte militaire auto-dissoute a fait preuve de fermeté en rappelant à l’ordre publiquement les fondamentalistes bouddhistes qui profitent du fond islamophobe de la population pour semer la haine et la terreur. La chef de file de l’opposition a fini par se manifester lorsque les autorités du district de l’Arakan ont voulu imposer aux familles rohingaises une politique de contrôle de naissance pour freiner la croissance de la population musulmane. Elle a dénoncé cette politique discriminatrice qui ne sera pas appliquée à la majorité bouddhiste. « C’est contraire aux droits de l’homme », a-t-elle déclaré.

Celle qui est considérée comme « l’icône de la démocratie », tant dans son pays comme à l’étranger, a également déçu ses supporters lorsqu’elle a déclaré en début d’année, sur une antenne de la BBC, qu’elle « aimait beaucoup l’armée birmane ». Cette proclamation d’amour à une armée qui a emprisonné des milliers de Birmans, tué les opposants, soumis la population à des exactions humiliantes, a fait grincer les dents parmi les anciens prisonniers politiques du régime militaire en place il y a encore deux ans.

Les historiens expliquent la nouvelle romance de la « Dame de Rangoon » avec les militaires par l’histoire personnelle d’Aung San Suu Kyi dont le père fut le fondateur de l’armée birmane moderne. Certes, cela n’a pas empêché les généraux de maintenir la fille du général en résidence surveillée pendant plus de quinze ans. Mais l’ancienne dissidente devenue aujourd’hui femme politique pragmatique et aguerrie n’oublie pas qu’avec ses 25% et plus de voix au Parlement l’armée continue de peser d’un poids non négligeable dans la vie politique. La Constitution de 2008 ne pourra être amendée sans son assentiment. Le chemin de la démocratie au pays des mille pagodes et de 1 million de soldats passe par le QG de la Tatmadaw (l’armée en birman) !

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