Chine : le dissident Ai Weiwei se lance dans la chanson contestataire

C’est un titre qui risque de déplaire aux oreilles des dirigeants chinois. On connaissait Ai Weiwei pour le stade du nid d’oiseaux à Pékin et pour des installations qui ont fait le tour des plus grands musées, sauf en Chine. L’artiste contestataire revient cette fois avec une chanson qui précède un album : « Dumbass » en anglais que l’on traduira par « crétin » en français, un intitulé aussi peu politiquement correct que son contenu. L’artiste censuré en Chine dénonce en effet les conditions de sa détention dans l’une des prisons noires du régime en 2011.

Avec notre correspondant en Chine, Stéphane Lagarde

Un univers carcéral au néon, des couloirs noirs, les uniformes des soldats jusqu’au sac de toile qui recouvrait la tête de l’artiste à son arrivée en détention, « tout est réel dans ce clip », affirme Ai Weiwei qui joue évidemment son propre rôle dans ce film signé du vidéaste Christopher Doyle. Au lendemain des appels aux « manifestions du jasmin » qui ont suivi les révolutions arabes en 2011, Ai Weiwei a passé près de trois mois dans l’une des prisons noires du régime.

Chorégraphie de l’enfermement

Pas de brimades physiques apparentes dans la vidéo, mais une torture psychologique qui va durer 81 jours avec deux gardes omniprésents lorsque le prisonnier dort, mange, va aux toilettes ou prend sa douche. « Mes gardiens devaient rester en permanence à moins de 80 centimètres de distance, raconte Ai Weiwei, si bien qu’ils étaient éclaboussés lorsque je prenais une douche. Ils devaient être exaspérés de me voir prendre une douche tous les jours, en même temps c’était le seul moment de détente pour eux, car hors des caméras ».

Chorégraphie de l’enfermement, le clip montre aussi les fantasmes des gardiens qui murmuraient au prisonnier de leur chanter des chansons ou de leur parler de son désir pour les femmes occidentales. « Pendant ma détention, les conditions étaient très dures, poursuit Ai Weiwei dans le communiqué de presse qui accompagne la sortie du titre, mais les gardes m’ont souvent secrètement demandé de chanter pour eux. Dans un tel environnement, cela m’a fait réaliser que, pour ces personnes, le seul moyen de tuer le temps, c'était la musique. J’étais incapable de chanter et en étais profondément désolé, soit je n'étais pas d'humeur, soit je pensais que je ne pouvais pas chanter. Les seules chansons que je connaissais étaient en effet les chants révolutionnaires. C'est la même chose pour beaucoup de Chinois, il nous a fallu mémoriser de nombreux chants rouges (dans notre jeunesse). Créer de la musique est donc un moyen de briser cette situation ».

Pussy Riot et Divine Comédie

La chanson « Dumbass » est le premier des 9 titres d’un album à paraître : The Divine Comedy. Comme dans l’œuvre de Dante c'est une plongée dans l’enfer de la détention. Avec ses humiliations comme lorsque le détenu doit se présenter les cheveux rasés devant ses proches, où qu’il se sent comme un travesti entouré par ses gardiens. Avec son bestiaire aussi, les animaux et les monstres de la Divine Comédie étant remplacés ici par les crabes de rivières et le cheval d’herbe et de boue (sorte de lama mélangé à une chèvre) qui symbolisent la censure en Chine.

Du rock sans roll avec un lancement digne de Psy ou de Lady Gaga ce mercredi matin : embargo jusqu’à 10 h (heure de Pékin) ce mercredi et interviews millimétrées au studio de l’artiste ces derniers jours. Même l’atelier de l’artiste au nord-est de la capitale chinoise a pris des airs de festivals, avec des tentes de camping probablement destinées à loger les amis de passages, et qui sont apparues avec les premières chaleurs. Mais la comparaison s’arrête là. Aucune chance en effet que ce clip soit diffusé sur les radios et les télévisions chinoises ! Ai Weiwei est censuré, tout comme l’auteur de la musique. « Aujourd’hui ils ont interdit le rock’n roll affirme encore l’artiste contemporain le plus connu à l’étranger. Ils ont fait comprendre à mon ami Zhao Zhuzhou qui a écrit la musique de l’album, qu’il ne pouvait plus se produire sur scène. Quel pays en dehors de la Chine interdit ainsi le rock’n roll à part la Russie où les Pussy Riot sont toujours en prison ? » La musique comme moyen de dénoncer l’arbitraire : « Quand ils sont prêts à frapper, lui murmure à propos de la non-violence dit la chanson. Quand ils lui tordent l’oreille, il dit que ce n’est pas un moyen de prévenir la diarrhée ».

Le dissident chinois avait exposé ses oeuvres en février 2012 au musée du Jeu de Paume à Paris.

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