Avec notre correspondant à Pékin, Stéphane Lagarde
Cette affaire a ridiculisé la censure chinoise et on ne pourra plus revenir en arrière, voilà ce qu’aimerait faire entendre ce matin les journalistes du Nanfang Zhoumo. Dans un pays qui compte plus d’un demi milliard d’internautes, la réécriture du numéro spécial Nouvel An de l’hebdomadaire, alors que les rédacteurs étaient partis en vacances, a en effet été vécu comme une véritable humiliation par une rédaction qui compte parmi les plus libres de Chine.
Internet libre, presse muselée
Le décalage entre ce qu’on peut lire sur l’internet chinois plus difficilement contrôlable par les agents de la censure, et ce qui est dit dans les médias est aujourd'hui difficile à accepter par les confrères chinois, de plus en plus nombreux à prendre un pseudo pour faire passer sur les réseaux sociaux des informations qu’ils ne peuvent pas publier dans leur journal.
« Le principe est que le parti contrôle la presse, mais la manière d’exercer ce contrôle doit être en phase avec l’époque », écrit l’hebdomadaire en bas de sa dernière page en faisant référence à un article du Quotidien du Peuple daté du 7 janvier. Le Nafang Zhoumo ne fait pas ici directement allusion aux manifestations de citoyens venus soutenir la rédaction ces derniers jours, mais le message est aussi clair qu’un dazibao comme l’était d’ailleurs hier ce titre d’un article posté sur le compte weibo du journal : « Si le système change, l’oppression demeure ». La reprise des messages en ligne de la rédaction hier soir était d’ailleurs le signe d’un retour au travail. Les journalistes ont mis les bouchées doubles pour sortir ce numéro.
Rêve d’une Chine respectant la Constitution
Dai Zhiyong, l'auteur de l’éditorial censuré explique là aussi sur son compte weibo qu’il a travaillé jusqu’à 2 h du matin cette nuit. Le numéro spécial Nouvel An était intitulé « Rêve de Chine, rêve d’un gouvernement constitutionnel » et faisait suite au discours du futur président chinois Xi Jinping consacré au respect de la Constitution chinoise. Le mensuel Yanhuang Chunqiu, qui avait lui aussi titré sur la Constitution comme « vision commune pour la réforme politique » s’est également fait taper sur les doigts.
Preuve que le combat contre la censure est loin d’être gagné : le site internet du mensuel a été fermé le 4 janvier et restait inaccessible ce jeudi matin. La destitution de Tuo Zhen, le chef de la propagande de la province méridionale du Guangdong, annoncée hier soir par une télévision de Hong-Kong n’a pas été officiellement confirmée. Mais les journalistes du sud de la chine ont au moins gagné une bataille ; ils ont fait éclater au grand jour les basses œuvres du bureau de la censure.