De notre envoyé spécial à Séoul
Des écharpes pour égayer les habits tristes de l’hiver sud-coréen. Chaque camp à sa couleur : le jaune pour le Parti démocrate unifié (PDU) au centre gauche et le rouge pour les conservateurs du Parti de la nouvelle frontière. Par -9°C, les cache-cols colorés se sont vendus comme des petits pains à l’occasion des derniers meetings des candidats. Chacun des deux camps rivalisant d’imagination pour tenter de séduire le jeune électorat.
Ceux qui m’aiment prendront le train, ou du moins viendront m’accompagner sur le quai, a dû se dire Moon Jae-in. Il avait donné rendez-vous à ses partisans à la gare de Séoul, où il a pris son train ce mardi après-midi pour le sud de la péninsule. Feux d’artifice de couleurs, là encore pour tenter de se réchauffer.
« Guérilla électorale » et militants déguisés en super-héros
En Corée du Sud, les candidats aux élections portent des numéros. Pour le représentant du PDU, c’est le numéro 2. La plupart de ses soutiens viennent des milieux associatifs, d’où le côté improvisé et « atelier » de la manifestation. Accroupis sur le sol, une poignée de militants fabriquent des avions en papier. « Nous avons choisi de les faire avec des feuilles vertes car c’est la couleur de l’espoir et nous allons les faire voler pour gagner », lance une jeune fille.
Des militants que l’on croirait parfois déguisés pour aller au carnaval, avec perruques et anoraks aux couleurs flashy pour faire de ce scrutin « une fête », en espérant attirer les derniers indécis. Le candidat de centre gauche a en effet fixé pour objectif d’atteindre une participation de 77 %. La victoire sur les conservateurs est à ce prix, estiment les stratèges du parti, sachant que la présidentielle précédente en 2007 avait mobilisé 63 % des électeurs.
« Les élections ne doivent pas se résumer à de tristes débats et à des conflits de personnes », explique Cho Sung-gyu, équipé de lunettes bleues à paillettes, d’un chapeau rose à étoiles et d’une lampe frontale. « Nous organisons des actions joyeuses de guérilla, des rassemblements éclairs via internet, poursuit ce militant écologiste. On danse, on chante et on va parfois dans le métro, mais nous le faisons toujours de manière spontanée. » Une manière indirecte de critiquer le camp d’en face, accusé d’avoir « triché » pendant la campagne, notamment en envoyant de faux messages de soutien à sa candidate sur Twitter. Car si les conservateurs disposent du soutien des principaux journaux du pays, ils sont peu présents sur les réseaux sociaux.
Dans l’autre pays de la tablette et surtout dans la ville du « Gangnam style », la campagne sur les smartphones, les concerts et les chorégraphies ont leur importance pour séduire une jeunesse qui n’a jamais connu les sacrifices des années du miracle économique sud-coréen, mais qui se retrouve aujourd’hui confrontée à la montée des inégalités. Et si cela ne suffit pas, on a recours aux super-héros, nombreux parmi les écharpes jaunes sur le parvis de la gare de Séoul ce mardi. « Je m’habille en Superman pour donner de la force à notre candidat et pour encourager les jeunes à voter, affirme ainsi Kim Yong-hyun, étudiant. Plus les gens iront voter, plus on a des chances de l’emporter. »
L’élection des fantômes et photo dans l’isoloir
Séduire la jeunesse à tout prix... Moon Jae-in a promis d’accorder 18 millions de dollars à l’emploi et au renforcement de la protection sociale. Un thème également abordé par sa rivale. Park Chung-hye a multiplié les interventions sur le thème de la « démocratisation économique » et s’apprête à devenir l’une des premières femmes présidentes du pays, habituellement marqué par le patriarcat.
La candidate du Parti de la nouvelle frontière a pris soin également de choisir le rouge comme emblème et non le bleu, traditionnel à la droite. Une façon de se démarquer de son prédécesseur, l’ultra libéral Lee Myung-bak, ancien dirigeant de l’un des grands conglomérats sud-coréens et qui a dirigé le pays comme un chef d’entreprise.
Comme les poissons suivent les cargos qui entrent dans le port, les écharpes rouges ont suivi elles aussi le mouvement. Chassé-croisé des candidats... Park Chung-hye rentrait ce mardi de Pusan, la deuxième ville de Corée, située au sud du pays, pour un dernier meeting à la nuit tombée devant le palais des anciens empereurs, au nord de la capitale.
Ici, les téléphones portables dernier cri sur lesquels clignote le numéro 1 de la chef de file des conservateurs ont remplacé les avions en papier. Les militants sont aussi en moyenne plus âgés. Certains d’entre eux ont conservé la nostalgie de l’époque de la dictature et ont apporté avec eux le portrait de Park Chung-hee, l’autocrate qui a mené d’une main de fer le développement du pays, de 1962 à 1979, date à laquelle il a été assassiné. Une filiation qui gêne Park Chung-hye, qui officiellement a dû faire ses excuses pour les crimes commis par son père, tout en rappelant que ses années noires ont aussi été celles du développement du pays.
Poids du passé
Le poids du passé qui marque également dans une moindre mesure évidemment le candidat de centre gauche. Petites lunettes et charisme d’un prof d’université timide et réservé, on comprend pourquoi Moon Jae-in a dû se faire aider par les super-héros et les grands noms du petit et du grand écran pendant sa campagne. Moon Jae-in était le bras droit de Roh Moo-hyun. Cet ancien président sud-coréen s’est suicidé à 62 ans en se jetant d’une falaise. Son souvenir était également très présent pendant la campagne, ce qui a fait dire à certains commentateurs que cette élection 2012 était celle des « fantômes ».
De quoi effrayer un peu plus un électorat jeune qui peine à se reconnaître dans les candidats. Pour les inciter à aller voter, des réductions sont proposées ce mercredi dans certains restaurants, au cinéma ou chez le coiffeur. Pour y avoir droit, il suffit de se photographier avec son téléphone portable, comme aiment de temps en temps le faire les jeunes Sud-Coréens. Ce qu’on appelle ici un « In Jeng Shot », un autoportrait dans l’isoloir.