Debout dans le box des accusées, veste noire, chemise blanche, Gu Kailai, 53 ans, garde son calme au moment de l’énoncé du verdict : « C’est une sentence juste qui respecte la loi, les faits et surtout la vie », dit elle d’une voix posée sur les images diffusée par la télévision centrale de Chine, l’un des seuls médias autorisés à assister à l’audience. « Peine de mort assortie de 2 ans de sursis » : Gu Kailai sait alors qu’elle échappe à la peine capitale en cas de bonne conduite, chose très rare pour les homicides volontaires en Chine.
Clémence des juges
Les avocats qui militent pour la fin de la peine de mort se félicitent de ce jugement, tout en notant qu’il s’agit d’une exception. Selon la version officielle plusieurs éléments expliqueraient cette clémence des juges et auraient fait pencher la balance en faveur d’une peine avec sursis à laquelle s’attendaient la plupart des analystes. Dès l’audience du 9 août dernier, les juges ont renvoyé partiellement la responsabilité des faits sur la victime elle-même. Neil Heywood a en effet, selon la version officielle, écrit des menaces de mort au fils de Gu Kailai et Bo Xilai avec qui le consultant britannique aurait été en affaire.
Selon l’agence Chine Nouvelle, les juges ont également pris note de la manière dont l’accusée a collaboré avec la justice. Cette dernière aurait non seulement avoué avoir prémédité et commis le meurtre de sang froid, elle aurait également lancé les enquêteurs sur de « nouvelles pistes », une allusion probablement aux autres sentences prononcées ce lundi. Quatre responsables policiers chinois ont été en effet condamnés à des peines de 5 à 11 ans de prison pour avoir dissimulé les preuves du crime et tenté de couvrir l’accusée. Au moment des faits, Guo Weiguo, Li Yang, Wang Pengfei et Wang Zhi étaient tous officiers dans la mégalopole de Chongqing (sud-ouest), alors dirigée par Bo Xilai, le mari de la condamnée.
« Troubles mentaux »
Cette peine « clémente » a également suscité des réactions sur le web chinois alors que Zhang Xhiaojun, un employé de maison de Gu Kailai, a été condamné ce même jour à neuf ans de prison. « Neuf ans de prison pour complicité de meurtre c’est mieux que 11 pour des écrits », ironise ainsi un commentateur sur le réseau social Weibo, faisant référence au Prix Nobel de la paix chinois, Liu Xiaobo, incarcéré dans la province du Liaoning. Dans un communiqué, l’ambassade de Grande Bretagne à Pékin salue pour sa part « le fait que les autorités chinoises aient mené une enquête sur la mort de Neil Heywood et jugé ceux qu'elles ont identifié comme responsables (du meurtre), a indiqué l'ambassade de Grande-Bretagne à Pékin, dans un communiqué. Nous avons constamment exprimé clairement aux autorités chinoises notre souhait de voir s'appliquer les normes internationales des droits de l'homme pour les procès concernant cette affaire, ainsi que notre souhait que la peine de mort ne soit pas appliquée », ajoute la diplomatie britannique.
Comme lors de la lecture du jugement le 9 août dernier, le tribunal de Hefei a rappelé que la condamnée souffrait de « troubles mentaux », ce qui pourrait éventuellement laisser entendre une sortie de prison pour l’hôpital dans un futur indéterminé. Pour de nombreux analystes, Gu Kailai devrait maintenant disparaitre progressivement de l’horizon médiatique. Pékin ayant pris soin de séparer son cas des deux autres affaires au sein du scandale (Wang Lijun le super policier de Chongqing par qui l’affaire a éclaté et surtout Bo Xilai). Le gouvernement central espère ainsi que ce procès qui s’est tenu sur deux petites journées seulement (les 9 et 20 août), fera le moins de vagues possible avant la tenue du 18e congrès où seront renouvelés les postes de direction à la tête du Parti communiste chinois cet automne.
Analyse croisée de deux avocats chinois
He Weifang, professeur de droit à l’université de Pékin : « Il y a peu de chances que le procès Bo Xilai ouvre avant le 18e congrès ».
« Ce verdict est conforme au chef d’accusation mais c’est une exception. Si un citoyen ordinateur est accusé des mêmes faits, il y a de grande chance qu’il soit condamné à mort. Non seulement Gu Kailai a utilisé le poison pour empoisonner sa victime, mais elle a aussi tout fait pour dissimuler le meurtre. C’est un crime très grave et pourtant le tribunal supérieur l’a condamnée à la peine de mort avec sursis. Le tribunal de Hefei a probablement ses raisons, mais je ne crois pas que le tribunal soit seul a décidé du verdict ici. Ca dépasse le système judiciaire, c’est une affaire beaucoup trop politique. On ne peut certainement pas l’analyser du seul point de vue juridique. »
Comment interprétez-vous cette « clémence » ?
« D’abord je dois dire que je m’en félicite, j’ai en effet toujours lutté à titre personnel pour la suppression de la peine de mort. Mais cela dit, ici c’est surtout parce que cette affaire Gu Kailai est très politique. Si les juges avait prononcé la peine capitale, le clan Bo Xilai risquait de protester. Une condamnation plus légère ne va pas lier les langues, mais elle permet de calmer les esprits ».
Quelle sera la suite donnée à ce procès ?
« C’est difficile à dire car vous l’avez noté, les affaires ont été toutes séparées. Par exemple, normalement il y aurait dû avoir une seule et même audience pour Gu Kailai et les policiers de Chongqing (ndlr quatre officiers de police ont également condamné pour avoir tenté de couvrir le meurtre), or il y a eu deux audiences les 9 et 10 août dernier. C’est la même chose pour Bo Xilai et Wang Lijun (ndlr Chef de la police de Chongqing et ex bras droit de Bo Xilai qui a été révélé le scandale au consulat américain de Chengdu en février dernier). Ces cas ont été séparés volontairement car, me semble t-il, il reste des désaccords au sein du gouvernement central sur la façon de traiter le cas Bo Xilai. Donc la suite peut réserver des surprises. Même si le mari de Gu Kailai (ndlr Bo Xilai) n’a pas été évoqué pendant le procès, cela ne veut pas dire qu’il va échapper à un jugement au pénal. Il pourrait par exemple être accusé de crimes économiques, d’avoir couvert l’homicide commis par son épouse ou même d’avoir participé au crime ? On n’en sait rien pour le moment. D’après mon expérience personnelle, je crois que le gouvernement central devrait indiquer avant la tenue du 18e Congrès du Parti communiste chinois ce qu’il compte faire de Bo Xilai. Soit ce sera une condamnation par le Parti, soit par le système judiciaire, mais il y a peu de chance que le procès Bo Xilai ouvre avant le congrès. »
Pu Zhiqiang, avocat à Pékin : « Gu Kailai va disparaître progressivement et totalement des yeux du public ».
« Le parquet a accusé Gu Kailai d’homicide volontaire et elle a elle-même avoué le meurtre au sein du tribunal. On sait aujourd’hui que c’est Gu Kailai qui a décidé de tuer Neil Heywood ; que c’est elle qui a versé le poison dans la bouche du Britannique, donc que c’était l’accusée principale de ce procès. Or selon la loi chinoise, le coupable principal doit être condamné à mort. Cette peine avec sursis n’est donc pas conforme à la loi et laisse planer de sérieux doute sur la transparence du jugement. Même si personnellement je m’en réjouis pour avoir milité pendant des années contre la peine de mort. J’espère que de cette façon cela fera jurisprudence pour la suppression de la peine capitale en Chine ». .
Combien de temps Gu Kailai devra rester en prison ?
« La peine de mort avec deux ans de sursis signifie qu’après deux ans de bonne conduite sa peine devrait être commuée en prison à vie. Mais je ne pense pas qu’elle va rester longtemps en détention. Ses avocats diront qu’elle est en mauvaise santé, qu’elle doit se rendre à l’hôpital. Tout un tas de raisons seront probablement évoquées pour justifier sa sortie. Une chose est sûre, Gu Kailai va disparaître progressivement et totalement des yeux du public ».
Qu’en est-il des autres acteurs de cette affaire ?
« Toutes les affaires ont été séparées. On attend toujours par exemple les procès de Bo Xilai, Xu Ming, Wang Lijun et tous les autres personnages qui ont un lien avec le scandale. Je pense notamment aux officiels et aux hommes d’affaires de Chongqing qui sont liés à l’affaire, c’est ce qui s’appelle le crime organisé. Mais dans ce genre d’affaire, il faut beaucoup de temps pour tirer les fils et remonter à qui à fait quoi, qui a lien avec qui. Pour l’instant, on en reste à Gu Kailai et a quelques responsables policiers, en faisant semblant que ces personnes n’ont pas commis d’autres crimes, c’est pour moi une manière de dissimuler une partie des faits. On ne sait pas comment tout cela va se terminer. De toute façon, les autorités ne voudront pas faire toute la lumière, car il ya des choses qu’elles n’osent pas affronter. »