Chine: Chen Guangcheng sous protection des Etats-Unis selon une ONG américaine

L’avocat aux pieds nus s’est échappé ce dimanche de sa maison où il était assigné à résidence, avant de faire sa réapparition sur une vidéo adressée ce vendredi27 avril 2012 au Premier ministre chinois et aujourd’hui sur une photo en compagnie de son ami Hu Jia. Cet autre dissident célèbre a été arrêté en fin d’après-midi à Pékin. Avant son interpellation, il a raconté à RFI comment l’avocat aveugle avait pu déjouer la surveillance de ses gardiens.

Avec notre correspondant à Pékin, Stéphane Lagarde

Il était 17h30 en fin d’après-midi ce samedi 28 avril à Pékin. « Hu Jia a été emmené par la police pour être interrogé, écrit son épouse Zeng Jiyan sur le réseau social Twitter, les policiers ont affirmé qu’il pouvait être retenu pendant huit heures ».

C’est ce même Hu Jia qu’on a vu sur une photo (illustration principale) en compagnie du dissident aveugle Chen Guangcheng. Hu Jia a été joint au téléphone par le bureau de RFI à Pékin, cet après-midi, avant son arrestation.

Hu Jia : J'ai participé au programme de transfert de Chen Guangcheng. On avait pensé à plusieurs solutions. On imaginait qu’il devait rester une nuit pas plus par endroit, mais cela aurait supposé que le gouvernement du Shandong ne se rende pas compte de sa disparition. C’était trop risqué, on a donc réfléchi et on s'est mis d'accord, la destination la plus sûre c’était l'ambassade des Etats Unis.

RFI : Comment pouvez-vous être certain que Chen Guangcheng est à l’ambassade des Etats-Unis ?

Hu Jia : Quand j'ai contacté Guo Yushan, l’avocat qui s’est chargé du transfert de Chen Guangcheng m'a dit qu'il était dans un endroit totalement sûr. J'ai tout de suite compris de quel endroit il parlait, même s'il ne m'a pas dit exactement où il était. Je suis sûr qu'il est à l’ambassade américaine. L’ambassade refuse de commenter pour le moment, mais elle ne dit pas que Chen Guangcheng n'est pas chez eux. Si Chen Guangcheng est entré dans l'ambassade, ce n'est pas pour s’y réfugier. C’est juste pour s’assurer qu’il pourra avoir de nouveau une vie normale en Chine avec la même sécurité et la même liberté que n’importe quel citoyen. Et on espère que l'ambassade des Etats-Unis pourra rapidement clarifier la situation.


Hu Jia se dit également heureux d’avoir retrouvé son ami, qu’il n’avait pas vu depuis sept ans, d’où le sourire sur la photo publiée ce samedi. « On était très contents de se retrouver, dit-il. On ne s'était pas vu depuis sept ans. Quand Chen Guangcheng a su que j’étais là, il s'est tout de suite levé et m'a pris dans ses bras. Il m'a soulevé, mes pieds ne touchaient plus le sol. Il est toujours aussi fort qu’avant. On a pleuré ensemble. Quand on était séparés on pensait toujours à l’autre, et là c’était comme dans un rêve. On était ensemble, on se tenait par la main. On ne pouvait pas croire que c’était vrai ».

Comment un aveugle a pu réussir à déjouer la surveillance pourtant très imposante autour de sa maison ? « En fait, explique Hu Jia, Chen Guangcheng a préparé sa libération tout seul parce qu’il était impossible de le contacter dans sa ferme. Il a essayé d’abord de construire un tunnel de deux mètres pour sortir chez le voisin, exactement comme dans le film Les Évadés. Mais les autorités ont fini par le découvrir et ils ont mis du ciment sur le sol de sa cour. Alors, il a pensé à sauter le mur d’enceinte. Mais il a d’abord endormi ses gardiens. Comme il est malade, il est resté au lit.

Les surveillants se sont habitués à ne pas le voir pendant plusieurs jours. Il a donc ainsi gagné quatre jours de tranquillité. Et quand il a sauté le mur, il s’est blessé la jambe. On peut facilement imaginer la difficulté pour un aveugle. Et puis il a contacté les bénévoles qui sont venus le chercher. Il a fallu trois jours pour arriver à l’endroit sûr à Pékin. Pendant ces trois jours, il n’a pas du tout dormi. Il est toujours en mauvaise santé, mais il a le moral. Il est avec ses amis, il a une certaine liberté. C’est un homme qui est sorti de l’enfer. »

Avez-vous des nouvelles des militants qui l’ont aidé, Her Peirong alias « Perle » à Nankin et Guo Yushan à Pékin ?

« Je n'ai pas de nouvelle de Zhenzhu –ndlr « perle » en chinois (Her Peirong), depuis que j'ai perdu le contact avec elle vendredi vers 11h00. Je l'appelle toutes les deux heures, mais sans obtenir de réponse. C’était déjà comme ça en novembre dernier quand elle a été fêter l'anniversaire de Chen Guangcheng. Elle était enfermée au commissariat. Cela veut dire qu’elle n’est pas libre. Il est possible qu'elle soit désormais contrôlée directement par les agents de la sécurité nationale.

Guo Yushan a confirmé hier que des agents avec des lunettes noires et des oreillettes le suivaient. Ce samedi, j'ai aussi perdu le contact avec Guo Yushan. Et puis surtout, je m’inquiète pour la famille de Chen Guangcheng. Là aussi, c’est très dangereux. Je pense surtout à sa femme, j’ai peur qu’elle fasse l’objet d’une vengeance folle de la part des autorités. Ils ne vont pas arrêter de l’interroger pour savoir comment il a pu s’échapper et surtout où il est maintenant. »


Cette photo est une véritable provocation pour l’appareil de sécurité chinois. Le décor est le même que celui de la vidéo adressée vendredi par Chen Guancheng au Premier ministre chinois. Le dissident aveugle porte la même veste de survêtement noire, les mêmes lunettes de soleil aviateur pour bien prouver que la rencontre est récente. Le cliché a été tweeté cette nuit par Zeng Jinyan, la femme de Hu Jia, qui pose ici sur l’image, dans le même sourire.

Comment un tel cliché a t-il pu être réalisé ? Par quel miracle ces deux hommes parmi les plus surveillés de Chine ont pu ainsi faire leur réapparition alors que leur nom est toujours interdit sur l’internet et dans les médias chinois ?

Ces questions tournent en boucle sur les réseaux sociaux chinois ce samedi, certains s’interrogeant sur un éventuel lien entre les services de renseignement américains et des responsables chinois au sein de l’appareil de sécurité.

L’ambassade américaine s’est refusée jusqu’à présent à tout commentaire. « Des discussions de haut niveau sont actuellement en cours entre des responsables américains et chinois au sujet du statut de Chen », a indiqué pour sa part l'ONG ChinaAid.

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