Tir réussi d’un missile de longue portée en Inde

Le lancement d’un missile «Agni-5» ce jeudi 19 avril 2012 a été salué par un tonnerre d’applaudissement dans la presse indienne. La Chine a réagit sobrement à la nouvelle, en assurant que Pékin « prenait note » de ce tir expérimental. L’arrivée de ce missile dans l’arsenal indien permettra bientôt à New Dehli d’atteindre les grandes villes industrielles du littoral chinois ou même la partie orientale de l’Europe. Réussite technologique de l’industrie indienne, « Agni-5 » va provoquer à coup sûr, d’importants changements stratégiques.

« Agni 5 », qui veut dir le seigneur du feu en sanskrit, est le dernier né d’une famille de missiles balistiques construits en Inde. Le missile, qui a réussi son premier tir d’essai ce jeudi 19 avril 2012, affiche une portée de 5 000 kilomètres. Il est de portée intermédiaire (IRBM), mais lorsqu’il entrera en service à l’horizon 2015, il permettra à l’Inde d’atteindre les principales villes industrielles du littoral chinois.

La Chine et l’Inde se sont déjà livrées une guerre courte en 1962. Pékin et New Dehli entretiennent un différent frontalier dans le nord-est de l’Inde, dans la région du Tibet et de l’Assam . Ces dernières années, la Chine a déployé des missiles nucléaires de l’autre côté de la chaine de l’Himalaya, mettant ainsi à sa portée les grandes métropoles indiennes, comme Delhi ou Calcutta.

Lorsque ses « Agni-5 » seront opérationnels, l’armée indienne disposera d’une nouvelle capacité de dissuasion, vis-à-vis du géant chinois en étant à même de réaliser des frappes « anti-cités », c'est-à-dire contre des zones peuplées.

Une longueur d'avance sur le Pakistan

« Cette nouvelle posture permettra potentiellement à l’armée indienne de libérer des missiles à plus faible portée, pour les diriger vers le Pakistan », assurent les experts du centre d’analyse de défense IHS Jane. Pour autant, un chercheur français ayant collaboré avec l’Institute for Defence Studies and Analysis (IDSA) dépendant du ministère indien de la Défense, rappelle que l’Inde et le Pakistan ont multiplié les efforts ces dernières années, pour tenter de créer un climat de confiance et éviter une escalade nucléaire. « Les armées des deux pays s’échangent chaque année la liste des positions exactes de leurs installations nucléaires, et prennent soin de se prévenir à chaque manœuvre d’envergure ».

Dans cette course régionale aux armements nucléaires, le Pakistan est à présent distancé par l’Inde car il ne dispose que de missiles sol-sol « Ghauri » de 2 500 à 3 000 kilomètres de portée. Islamabad cherche toutefois à se doter également de missiles à longue portée.

Côté indien, la perception de la menace pakistanaise est d’avantage liée au terrorisme international : « les attentats de Bombay en Juillet 2006, ont été conçus sur le sol pakistanais » rappelle Jean Luc Racine spécialiste de l'Asie du sud et directeur de recherche au CNRS.

La doctrine du « minimum garanti »

Dès le début des années 2000, l’Inde a opté pour le « non usage en premier » de l’arme atomique. New Dehli s’est également engagé à ne pas utiliser l’arme nucléaire contre un pays « non doté » et a opté pour le concept dit du « minimum garanti », ce qui signifie que les autorités indiennes ont choisi de produire un nombre limité de vecteurs nucléaires.

Dans ce contexte, l’Inde a développé ces dernières années ces capacités dites de « seconde frappe » consistant à préserver des moyens mobiles et à utiliser des centres de commandement relativement décentralisés afin de riposter efficacement à toute attaque contre les postes névralgiques de la défense indienne.

De ce point de vue là, la doctrine indienne n’est pas très éloignée de celle en vigueur aux Etats-Unis. Si l’Inde vient frapper à la porte du club des nations « nucléaires » que constituent les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, elle cherche encore à se doter d’une « triade nucléaire », apanage des grandes puissances militaires.

New Dehli aligne déjà une composante nucléaire aérienne avec des Sukhois 30MKI et des Mirages 2000H emportant la bombe atomique, elle peut également utiliser des missiles sol-sol dont les rampes sont montées sur des véhicules à roues, ce qui permet de les rendre très mobiles. Elle souhaite enfin disposer d’une branche navale avec le développement de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins conçus localement (SNLE).

A ce jour, un seul sous-marin de ce type a été mis à la mer, il s’agit de l’INS Arihant, semble-t-il inspiré des submersibles russes de classe « Charlie II ». Un programme de six SNLE, sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, a été lancé mais pour le moment la marine indienne limite sa zone d’action au grand bassin de l’océan Indien.Autrement dit, l’utilisation de l’arme nucléaire depuis la mer se ferait à partir de missiles à plus courte portée, (K15 SAGARI-K ou missiles de croisière Brahmos) vers des cibles « côtières » uniquement.

« Agni 5 » : prestige et réussite industrielle

Quelques jours après l’échec retentissant de la fusée « Unha-3 » en Corée du Nord dont la technologie est inspirée des engins chinois et soviétiques, l’Inde vient démontrer qu’elle a atteint un niveau de maitrise dans le secteur aérospatial que beaucoup de pays asiatiques peuvent lui envier.

Certes le tir d’un missile « Agni-5 » était attendu depuis longtemps, mais cet essai « démontre que l’Inde a désormais la capacité de fabriquer un missile balistique intercontinental » assure le Centre indien des études sur la puissance aérienne. 

Jusqu’alors dans la région, seul Pékin a réussi à mettre au point des ICBM. Il s’agit des fameux « Dong Feng 5 » dont la portée est estimée à 12 000 kilomètres. Si l’Inde n’en n’est pas encore là, le DRDO, la puissante agence chargée du développement des technologies de défense, poursuit ses efforts pour doter le pays d’une défense indépendante.

« Les programmes du DRDO sont parfois menés à marche forcée, avec des coûts et des délais de mise au point qui seraient inacceptables dans un pays occidental », rappelle un expert du secteur de la défense, mais le développement de « technologies indigènes » est une fierté nationale en Inde. Le secteur spatial et celui de la défense faisant appel à des technologies « connexes», le succès du premier missile « Agni-5 » trouve très certainement sa source dans la réussite des programmes de lanceurs civils SLV et ASLV qui permettent à l’Inde d’envoyer des satellites dans l’espace.

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