Le combat sans fin contre la drogue en Afghanistan

Dix ans après l’entrée en guerre de la coalition occidentale en Afghanistan, la politique d’éradication de la culture de l’opium est un échec. Malgré la complexité à rassembler des données fiables sur ce phénomène, les derniers rapports internationaux font apparaître que la production, le trafic et la consommation de l’opium et ses dérivés sont florissants et que l’essentiel des opiacés consommés dans le monde sont afghans. Mercredi, s’est ouverte à Vienne la 3ème conférence ministérielle du Pacte de Paris dont l’objectif, depuis 2003 est soutenir les projets de lutte contre le trafic de drogue en Afghanistan.

Depuis l’effondrement de la production du Triangle d’Or (Laos, Birmanie, Thaïlande), l’Afghanistan a pris la relève en tant que fournisseur principal des opiacés (opium, héroïne, morphine) illicites. C’est désormais de là que provient l’essentiel des opiacés consommés dans le monde (90% en 2011, selon l’ONUDC). Avec une demande tant domestique qu’internationale en constante augmentation, la production afghane affiche une bonne santé insolente : + 61%, soit 5 800 tonnes par rapport au 3 600 tonnes de l’année précédente. Les surfaces cultivées ont augmenté de 7%, pour atteindre 131 000 hectares de cultures de pavot, et le rendement a bondi de 65%, passant de 29,2 à 44,5 kg d’opium à l’hectare. L’activité se professionnalise. On assiste à un phénomène de « concentration » des exploitations : le nombre de cultivateurs diminue, tandis que les surfaces augmentent. Le prix de l’opium est en hausse. Les revenus des agriculteurs ont bondi de 118%.

En 2010, 17 provinces afghanes (sur un total de 34) produisaient du pavot. En 2011, 20 provinces en ont produit. En raison de l’hostilité des agriculteurs, les soldats ne participent plus aux programmes d’éradication. D’ailleurs l’augmentation du taux d’éradication des surfaces cultivées en pavot (en hausse de 65% par rapport à l’année précédente) doit être rapportée au fait que ces programmes ne touchent qu’un tiers du territoire (11 provinces) et 2,9% des surfaces ensemencées : la progression de l’éradication est donc très modeste au regard de la progression de l’activité. Dans ces conditions, les programmes de substitution peinent à convaincre et les cultures alternatives perdent toute crédibilité.

Vulnérables et méprisés

C’est dans les 9 provinces du sud, considérées comme les moins sécurisées, et de l’ouest que la production se concentre (95%). La province méridionale du Helmand, limitrophe du Pakistan, assure 48% de la production totale. L’ONUDC estime que l’héroïne afghane procure des revenus à hauteur de 7 milliards de dollars, soit 44% du PIB afghan (16 milliards de dollars). Elle établit un lien direct entre criminalité et insurrection, les revenus de l’une alimentant l’autre pour se procurer des armes, corrompre l’autorité, contrôler le territoire. Le ministère français des Affaires étrangères estime que l’argent de la drogue finance l’insurrection à hauteur de 10%.

D’un point de vue médical et humain, les effets de cette situation sont évidemment effrayants et ils affectent des millions de personnes dans des proportions variables, selon les territoires de consommation. L’ONU estime qu’il y a 940 000 toxicomanes aux opiacés en Afghanistan, soit environ 8% de la population active (sur une population totale de 30 millions d’habitants). Leur nombre augmente. Et la faiblesse de l’Etat, son haut niveau de corruption et la manne financière que l’activité représente constituent un terreau favorable aux trafiquants. Les toxicomanes afghans sont vulnérables et méprisés ; leur condition est souvent tragique. Leur prise en charge relève pour l’essentiel des organisations non-gouvernementales.

Mais cette situation afghane intéresse au plus haut point les diplomates en raison de ses conséquences internationales puisque, rappelons-le, la production afghane constitue, selon l’agence internationale 90%, de l’opium consommé dans le monde. Si la consommation d’opiacés, et d’héroïne en particulier, est en progression, tous les pays ne sont pas égaux face au phénomène. Certains manifestent une vulnérabilité plus importante à l’offensive des trafiquants. C’est notamment le cas de pays comme l’Iran ou la Russie qui précisément, sont placés sur les routes d’exportation de la drogue vers le reste du monde.

Déterminés, audacieux, cupides 

Créé en 2003 à l’initiative de la France, et réunissant 56 pays et de nombreuses organisations internationales, le Pacte de Paris s’était donné pour mission de lutter contre le trafic de drogue en provenance d’Afghanistan en tant que facteur d’instabilité international. En 2006, une deuxième conférence s’était tenue à Moscou. Plusieurs initiatives ont abouti en marge du Pacte, notamment l’établissement d’agences de coopération régionales et la création en Afghanistan d’un centre de formation dans la lutte contre les narcotiques. Cette troisième conférence, à Vienne, veut remobiliser la communauté internationale autour de ses engagements initiaux.

Reste que la lutte contre la drogue a de bonne chance de demeurer un combat sans fin en raison des innombrables difficultés auxquelles se heurtent les Etats face à des adversaires toujours plus déterminés, audacieux et cupides. Pour des raisons évidentes, tous les agents associés à la production, au commerce et à la consommation de la drogue agissent de façon clandestine, dans un contexte marqué par la prohibition qui rend l’activité hautement rémunératrice et furieusement attractive pour les mafias nationales et transnationales. Ce sont les conditions idéales pour garantir le haut rendement du bizness, et donc sa pérennité.

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