Chine : le haut fonctionnaire Wang Lijun a bien rencontré des diplomates américains avant sa disparition

Le département d’Etat américain confirme la présence d’un haut responsable chinois à son consulat de Chengdu, dans l’ouest de la Chine, cette semaine. Wang Lijun a disparu depuis mardi soir, 7 février 2012. L’ancien chef de la police et vice-maire de Chongqing serait officiellement en « congé thérapeutique en raison du surmenage ». Que faisait-il au consulat américain ? S’agit-il d’une tentative de défection vers les Etats-Unis ? S’agit-il de luttes internes à l’approche du congrès du Parti communiste ? Une chose est sûre, ce jeudi 9 février, le haut responsable chinois est toujours introuvable.

De notre correspondant à Pékin

Le nom du premier flic et vice-maire de Chongqing a disparu de l’internet chinois ce matin. Avec un message désormais classique en pareil cas : « 据相关法律法规和政策,部分搜索结果未予显示。». Traduction : « Selon les règlements et la loi chinoise, les résultats de votre recherche ne peuvent pas être affichés ». Son nom n’a d’ailleurs pas plus été prononcé par le vice-ministre chinois des Affaires étrangères lors d’un point de presse consacré, ce jeudi matin, à la visite la semaine prochaine du vice-président chinois Xi Jinping à Washington : « L’officiel chinois qui a visité le consulat des Etats-Unis est un incident isolé. Cela n’affecte en rien la visite de Xi Jinping », a indiqué Cui Tian Kai.

Mystérieux rendez-vous à Chengdu

Ce qui n’était encore que rumeur mercredi est donc confirmé aujourd’hui. La dernière fois que Wang Lijun, 52 ans, a été aperçu, il sortait bien du consulat américain de Chengdu. La preuve qu’il ne s’agit plus de « vacances » comme l’ont d’abord affirmé les autorités de la « ville rouge » sur weibo (microblog), mais bien d’un évanouissement.

« Wang Lijun a demandé rendez-vous à notre consulat de Chengdu cette semaine, a également confirmé mercredi Victoria Nuland, la porte-parole du département d’Etat américain à Washington. L’entretien a eu lieu (…) Il a bien visité le consulat et il en est sorti de son propre grè. Nous n’avons à l’évidence pas discuté de questions de droit d’asile ou du statut de réfugié ». Quatre heures de rendez-vous tout de même. Que s’est-il dit pendant l’échange ? Toute la journée de mercredi la blogosphère s’est emballée sur une possible tentative défection du vice-maire vers les Etats-Unis.

Tentative de défection ?

L’avocat Wei Ruijiu est l’un des premiers à avoir évoqué cette possibilité sur son weibo. Une hypothèse reprise par le journal Apple Daily ce jeudi à Hong Kong : c'est la première fois depuis la fondation de la Chine populaire qu'un fonctionnaire de haut niveau réclame l'asile politique depuis l'intérieur du pays, indique en substance ce quotidien de Hong Kong. D’autres évoquent la possibilité d’un scandale de corruption éclaboussant l’ancien chef de la police de Chongqing, voire même au-delà, le chef du Parti communiste de la région administrative spéciale Bo Xilai.

Les deux hommes se connaissent bien. Très bien même. Expert en arts martiaux, Wang Lijun a d’abord servi Bo Xilai pendant près de 20 ans lorsque ce dernier était gouverneur de la province du Liaoning (Nord). Il l’a ensuite suivi à Chongqing, prenant la tête de la campagne contre les mafias. Cette lutte contre le crime organisé a permis à la popularité des deux officiels de décoller. Mister Wang était alors considéré comme un véritable héros national, sa bravoure allant jusqu’à faire l’objet d’un feuilleton télévisé à succès Tiexue Jing Hun (« L’esprit de la police de fer et de sang »).

Chef de file du « clan des Princes », à savoir les enfants des hauts dignitaires communistes, Bo Xilai a-t-il voulu se débarrasser d’un ami devenu embarrassant pour son ascension dans les hautes sphères du pouvoir ? C’est en tous cas ce que semble affirmer le site d’information Boxun basé aux Etats-Unis qui publie, ce jeudi 9 février, une lettre attribuée à Wang Lijun lui-même. Un document qui montre que l’action de son ancien supérieur était préméditée. « Bo Xilai est le plus grand hypocrite au sein du Parti, aurait écrit le vice-maire, quand vous lirez cette lettre, j’aurai déjà perdu ma liberté ».

Luttes internes

Que s’est il passé à la sortie du consulat de Chengdu ? Les commerces à proximité ont signalé mardi soir, 7 février, une forte présence policière autour des locaux de la diplomatie américaine. Mais est-ce que dans ce cas précis, ce ne serait pas Bo Xilai lui-même qui serait visé ? Cette thèse est celle de Zhao Jiafei. Pour ce journaliste à l’hebdomadaire la Nouvelle Epoque (Xinshijie) : « Wang Lijun ne cherchait pas la protection des Etats-Unis mais celle de Pékin en se rendant au consulat. Son but était de quitter la région sans encombre. Les diplomates américains ont laissé le temps aux agents du gouvernement central de venir le chercher et c’est donc Bo Xilai qui a perdu ! ».

Cette thèse de luttes internes au sein du Parti destinées à se débarrasser de Bo Xilai, n’est évidemment, là encore, qu’une hypothèse parmi toutes celles qui courent sur le net chinois depuis plus d’une semaine. Ce qui est sûr, c’est que cette affaire embarrasse les autorités à la veille de la visite aux Etats-Unis de Xi Jinping annoncé comme le plus que probable successeur de Hu Jintao à la tête du pays. Elle rappelle ce qui était arrivé à l’ancien maire de Shanghai, Chen Liangyu, il y a six ans : la chute de l’édile avait suivi celle de son bras droit, là aussi à la veille du congrès du Parti.

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