La perpétuité pour Duch, le Khmer rouge impénétrable

Au Cambodge, le tortionnaire du camp S21 a été finalement condamné ce vendredi 3 février 2012 à la prison à vie. Un verdict qui efface les trente ans de prison dont il avait écopé en première instance. Les victimes survivantes avaient fait appel pour « qu’il meure en prison ».

« Je dirai aux villageois que la Cour a émis une sentence juste » : réaction de Pov Sinuon, un des nombreux Cambodgiens venus à Phnom Penh pour entendre ce vendredi 3 février 2012 le verdict de la Cour suprême du tribunal spécial pour les Khmers rouges.

Le procès aura duré plus de soixante dix jours et attiré plus de 30 000 visiteurs.  « Je vais me sentir en paix », déclare de son côté Kim Huoy, qui aura perdu dix-neuf membres de sa famille dont son mari et ses parents pendant le règne des Khmers rouges.

Cette paix, les quelques rares victimes de Duch qui avaient survécu à l’enfer de la prison S21 et, infiniment plus nombreuses, les familles de ceux qui y avaient été abattus, ne l’avaient pas atteinte à l’issue du premier procès de Kang Kek Ieu (son vrai nom).

« Il doit mourir en prison », disait encore ce jeudi l’un d’entre eux - mourir comme sont morts (officiellement) quelque 12 380 Cambodgiens dans cet ancien lycée devenu la prison centrale de la capitale lors de l’arrivée des Khmers rouges.

Accablé par la cruauté et le zèle avec lesquels il a servi le régime

En première instance, Duch avait été condamné à trente cinq ans de réclusion pour meurtre, torture et crimes contre l'humanité ; ce qui, compte tenu des années déjà purgées - et en ôtant cinq ans pour une détention militaire jugée illégale, ne lui faisait plus que dix neuf années à attendre avant sa sortie, prévue pour 2029, aux alentours de son 87e anniversaire.

A l’époque, la chambre avait parlé de « circonstances atténuantes significatives » plaidant pour une « peine de prison limitée plutôt que pour la prison à vie », évoquant entre autres la coopération de Duch avec le tribunal, ses remords à l’égard des victimes, le « climat de contrainte qui régnait sous le Kampuchea démocratique » et le « potentiel de réinsertion » de l’accusé.

En appel, tout cela a donc volé en éclats : selon la chambre de la Cour suprême du tribunal, les juges de première instance avaient fixé un poids excessif aux circonstances atténuantes, et un poids insuffisant aux circonstances aggravantes. La cruauté et le zèle avec lesquels Duch a servi le régime khmer rouge et s’est efforcé de sans cesse améliorer « l’efficacité » du centre Tuol Sleng (S21) l’accablent, et ce malgré le fait qu’il n’était pas en haut de la chaîne de commandement.

Un homme impénétrable

C’était justement l’argument de Duch pour demander en première instance comme en appel sa libération immédiate : il n’avait fait qu’obéir aux ordres, il n’était pas un dirigeant khmer rouge. Cette ligne de défense que l’accusé n’avait adoptée qu’à la toute fin de son premier procès avait surpris tout le monde.

Avant cela, il avait à plusieurs reprises demandé pardon aux survivants et aux familles de victimes, admettant la torture (électricité, ongles arrachés, coups de cannes et de fouets), les exécutions (dans un petit verger, non loin de la prison), analysant longuement pour la Cour les nombreux documents découverts dans la prison à la chute du régime. Duch se disait « responsable émotionnellement et légalement » et demandait à être condamné à « la peine la plus stricte ».

Et puis, donc, coup de théâtre au dernier jour du procès, Duch affirme échapper à la compétence du tribunal puisqu’il n’est selon lui qu’un « serviteur » et non un haut responsable khmer rouge. Il fait d’ailleurs lui aussi appel du jugement, et se sépare de son avocat français Me François Roux, chargeant son avocat cambodgien Me Kar Savuth d’obtenir sa libération. Ce vendredi 3 février 2012, lors de sa condamnation à la prison à perpétuité, Duch, 69 ans, n’a montré aucune émotion.

Vingt ans de liberté, treize ans de procédures

Duch avait été retrouvé en 1999, un an après la mort de Pol Pot et vingt ans après la fin du régime khmer rouge, auquel il avait continué d’appartenir pendant plusieurs années avant de finalement s’engager dans des organisations caritatives. C’est d’ailleurs pour une organisation chrétienne qu’il travaillait – l’ancien chef de S21 s’était converti – lorsqu’un photographe irlandais, Nic Dunlop, le reconnaît dans un petit village où il coule des jours paisibles.
 
Il est arrêté le 10 mai 1999 mais ne sera formellement inculpé de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et meurtre avec préméditation qu’en 2007 par le tribunal pour les Khmers rouges. Ce tribunal hybride ONU/Cambodge destiné à juger les anciens responsables khmers rouges n’avait lui-même été créé qu’en 2006, un an plus tôt, après des années de négociations entre Phnom Penh et la communauté internationale.

Ce sont ces années passées par Duch dans une prison militaire qui aujourd’hui posent problème à certains : cette détention ayant été jugée illégale, l’organisation Open Society Justice Initiative estime que l’accusé aurait dû bénéficier d’une compensation, comme cela avait été le cas en première instance – cinq ans de remise de peine, et parle de « poids injustifiable donné à l’opinion publique ». « Beaucoup de Cambodgiens seront contents aujourd’hui mais cela s’est fait au détriment des droits de l’accusé ».

Un tribunal critiqué

Duch aura été le premier à être jugé par ce tribunal hybride ONU/Cambodge, qui fait l’objet de nombreuses critiques : lenteur procédurale, accusations de corruption, ingérence du gouvernement cambodgien (le Premier ministre Hun Sen est un ancien Khmer rouge).
Cent cinquante millions de dollars ont été jusqu’ici dépensés pour son fonctionnement.

Un autre procès a commencé à la fin de l’année 2011, celui de l'ex-ministre des Affaires étrangères leng Sary, de l'idéologue du régime Nuon Chea et du président du « Kampuchea démocratique » Khieu Samphan. Une quatrième accusée, Ieng Thirith (la belle-sœur de Pol Pot) a été jugée démente et donc inapte à comparaître – elle reste quand même en détention.

Le procès a été découpé en segments pour gagner en rapidité, et éviter qu’il ne soit interrompu par la mort des accusés, tous octogénaires et qui, tous, plaident non-coupables. Ce sera de toute façon le dernier procès des anciens dirigeants khmers rouges, les autorités, qui se félicitaient aujourd’hui par la voix du vice-Premier ministre Sok An du résultat du procès en appel de Duch, ont déjà fait savoir qu’elles n’en voulaient pas de nouveau. 

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