La Birmanie bien placée pour prendre la présidence de l'Asean en 2014

C’est à Bali, en Indonésie, que se réunissent cette année les dix pays de l’Asean, l'Association des nations de l’Asie du Sud-Est. Parmi eux, la Birmanie, qui souhaite en prendre la direction tournante dans deux ans ; c’est d’ailleurs ce qu’ont recommandé les ministres des Affaires étrangères de l’Asean. Car en un an, le pays a connu beaucoup de changements, passant d'une junte militaire à un régime civil (certes très contrôlé), la plus connue de ses opposantes, Aung San Suu Kyi, a été libérée, les syndicats ont maintenant le droit d'exister.

Mais avant de diriger l’Asean il faut en faire partie, et pour la Birmanie, c’est assez récent. L’organisation a été créée en 1967, et la Birmanie n’y est entrée que 30 ans plus tard. Car à l’époque, en pleine guerre froide, le régime du général Ne Win jugeait l’organisation trop proche de l’Occident –il est vrai qu’elle avait été entre autres créée pour « faire barrage aux régimes communistes ». C’est donc à la faveur du changement de régime en 1988 que l’idée d’adhérer à l’Asean a cheminé dans l’esprit des dirigeants. Les négociations ont été difficiles. Aung San Suu Kyi était assignée à résidence, et c’est à partir de sa libération en 1995 que la Birmanie a pu rejoindre l’Asean, en juillet 1997.

Pour autant, la Birmanie restait une dictature, mais elle savait qu’elle ne risquait rien puisque depuis sa création l’Asean se cantonne à une politique de « non-ingérence » dans les affaires de ses membres. Il n’y a qu’à voir qui siège aux côtés de la Birmanie dans ce forum, explique le chercheur au CNRS Jean-Louis Margolin : « le Laos ou le Vietnam, qui sont encore des régimes dirigés par un parti unique qui met assez systématiquement les opposants en prison. Le Cambodge, qui connaît des élections mais qui a aussi le même Premier ministre au pouvoir depuis une bonne trentaine d’années… » Bref, « faire partie de l’Asean ne vous pousse pas particulièrement à aller dans le sens d’une démocratisation pour laquelle il n’y a eu jamais eu véritablement d’ailleurs de pression autre que strictement verbale à consommation internationale de la part des Etats membres ».

Un forum économique

Alors à quoi sert ce forum s’il n’a pas de vocation politique ? Comme souvent, c’est surtout d’économie, que l’on y parle, c’est d’ailleurs ce qui intéressait la Birmanie au moment de son adhésion, il s’agissait de mieux s’intégrer à région alors en plein boum économique. Beaucoup d’investissements de Singapour, de la Thaïlande, de la Malaisie et de l’Indonésie ont permis à l’économie birmane de se maintenir et dans certains secteurs de croître. Elle en avait besoin : l’Occident lui avait imposé des sanctions depuis la fin des années 1980 - son adhésion à l’Asean lui a permis d’essayer de les contourner, comme plus tard avec la Chine et l’Inde, les deux superpuissances dont la Birmanie est la plus proche dans la région – et qui ne font pas partie de l’Asean, explique Renaud Egreteau, universitaire et auteur du livre L’Histoire de la Birmanie contemporaine.

Un an de réformes

Aujourd’hui la Birmanie veut passer à la vitesse supérieure et prendre la direction tournante de l’Asean à partir de 2014. Depuis un an, ses dirigeants ont mis en place une politique de réformes – des élections qui ont abouti à la mise en place d’un gouvernement civil bien que très contrôlé, la libération d’Aung San Suu Kyi et de 200 opposants, le droit de se syndiquer, le contrôle des médias a été assoupli… Alors s’agit-il d’un appel du pied en direction de l’Asean pour que cette direction tournante lui soit donnée sans que cela fasse trop de remous, particulièrement du côté des partenaires occidentaux ?

Les avis sont assez partagés sur ce point, mais tous les analystes sont d’accord : ce sont surtout des questions de politique interne qui sont entrées en compte pour ces réformes. « Le pouvoir actuel comptait se rapprocher de sa population, de son opposition sur laquelle il compte beaucoup pour accompagner les premiers pas de ce gouvernement post-junte », explique Olivier Guillard, directeur de recherche à l’IRIS, l’Institut de relations internationales et stratégiques, mais il est vrai que « se rapprocher d’une meilleur gouvernance à l’égard des pays voisins et donc de l’Asean a pesé sur le court des choses ». Pour Renaud Egreteau, même si le nouveau régime a besoin d’une légitimité diplomatique sur la scène régionale, « ça reste assez marginal, c’est une question de prestige mais qui ne va pas jouer sur la politique intérieur du pays ».

Objectif : 2014

La Birmanie a de bonnes chances de prendre cette direction tournante. Tous ses membres ou quasiment tous sont d’accord, mais il y a encore des points à régler, principalement économiques (en plus des écueils politiques) : l’Asean doit établir une zone de libre-échange en 2015, l’année qui suit la prise de présidence par la Birmanie si elle l’obtient. Or l’économie Birmane est en mauvais état, et préparer l’organisation de cette zone de libre-échange en lui laissant la haute main sur cette année 2015 serait assez compliqué.

Ce qui n’a pas empêché les ministres des Affaires étrangères de l’Asean de se prononcer en faveur de la candidature de Naypyidaw, mais aucune décision formelle n’a pour le moment été prise : elle appartient encore aux chefs d’Etat et de gouvernement réunis à Bali à partir de ce jeudi 17 novembre.

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