Un avion de ligne internationale s’écrase dans la jungle africaine, une jungle « dont personne ne s’est jamais échappé vivant ». Sortant indemnes des décombres, deux valeureux Nord-Coréens vont guider les rescapés jusqu’au salut.
Leurs qualités naturelles de leader, leurs connaissances médicales et leur courage laisseront les passagers pantelants d’admiration, à l’exception notable de deux Américains, qui finiront dévorés par les crocodiles. « Comment ces hommes peuvent-ils être à ce point plus forts et plus altruistes que nous ? », se pâme l’un d’entre eux.
Les « Petits Mickeys » de la Corée du Nord
Telle est l’histoire racontée par Tempête de neige dans la jungle (Jo Hak-rae et Ri Chol-geun, 2001), une BD d’aventure nord-coréenne. Si les mangas sud-coréens bénéficient désormais d'une reconnaissance internationale, peu savent que la Corée du Nord communiste publie, elle aussi, des « Petits Mickeys » à l’intention de ses enfants. Le rôle de ces œuvres de propagande est de distraire, mais aussi d’inculquer aux plus jeunes les rudiments de l’idéologie nord-coréenne.
« Ces bandes dessinées sont passionnantes, parce qu’elles permettent de comprendre les représentations que les Nord-Coréens ont d’eux-mêmes et du monde extérieur », explique Jacco Zwetsloot, un Australo-Hollandais coréanophone, qui a découvert les mangas nord-coréens lors d’un voyage à Pyongyang en 2010.
Jacco Zwetsloot a depuis entrepris d’en traduire plusieurs albums, notamment la saga d’espionnage Opération Typhon et Opération Spéciale. Dessinées par Choe Hyok, ces histoires de James Bond socialiste mettent en scène d’intrépides soldats nord-coréens, qui déjouent les complots machiavéliques des impérialistes américains, ligués aux fourbes japonais et aux traîtres sud-coréens.
Des pages grises, sèches, recyclées mille fois
« Ce sont des œuvres pour adolescents, destinées à attiser leur haine des Etats-Unis et à enflammer leur fierté patriotique », rappelle Jacco Zwetsloot. Une forme de propagande plutôt efficace : « Ces BD sont incroyablement artistiques, les dessins sont très réussis, l’auteur porte une attention minutieuse aux détails et a fait à l’évidence un gros travail de documentation, tout ça est très amusant à lire. »
« Les bandes dessinées de Choe Hyok sont immensément populaires chez les jeunes garçons », confirme Geum-ju, une Nord-Coréenne réfugiée à Séoul. Il n’est pourtant pas facile de lire des BD en Corée du Nord. Les pénuries dont souffre le pays frappent aussi le papier. Les pages sont grises, sèches, recyclées mille fois. « Il faut les emprunter, mais le centre d’emprunt n’est pas toujours ouvert », se souvient Geum-ju. Signe de leur popularité, des albums se vendent aussi sur les marchés clandestins.
Une BD nord-coréenne présente une intrigue souvent complexe, qui multiplie rebondissements et coups de théâtre…même les plus improbables. Il s’agit de montrer que la Corée du Nord et son peuple font l’admiration du monde entier.
Ton paternaliste
Quelques histoires se déroulent en Afrique, et rappellent les liens que Pyongyang a entretenus avec de nombreux pays africains. Le ton se fait parfois paternaliste : dans Le secret de la fréquence A : un incroyable désastre, des petits prodiges nord-coréens en culottes courtes viennent expliquer à un professeur africain comment faire cesser une mortelle invasion de sauterelles (qui se révélera être, faut-il le préciser, un complot impérialiste américain).
Le héros nord-coréen est altruiste, surdoué et courageux. Sa potion magique, c’est son amour absolu pour son « Grand Leader » et sa foi inébranlable dans l’idéologie officielle, le « juche ».
« La fiction nord-coréenne offre en général deux types de héros », explique Patrick Maurus, directeur de la collection Lettres coréennes chez Actes Sud, et qui vient de traduire un roman nord-coréen(*). « Le premier, c’est le super-héros militaire, capable d’aplatir à lui tout seul cinq bataillons américains. » A côté de ce Rambo à l’envers se trouve « le héros scientifique, qui surmonte des difficultés face à un environnement qu’il ne comprend pas. Cela correspond en fait au modèle donné à la société par le parti lui-même. »
Sous-traitant à la réalisation de dessins animés américains
Les artistes nord-coréens, écrivains ou dessinateurs, sont payés par l’Etat. La plupart ont étudié dans les grandes universités du pays, avant de rejoindre les studios officiels. Leur travail peut permettre de ramener des devises : à Pyongyang, le studio d’animation SEK a ainsi participé comme sous-traitant à la réalisation de dessins animés américains (Le Roi Lion) ou français (Corto Maltese).
Le contrôle du régime est absolu et leur liberté artistique strictement encadrée. Cela n’empêche pas certains auteurs d’aborder tout de même une partie des problèmes que connaît leur pays : sécheresse, pénuries alimentaires, corruption.
« L’écrivain Paik Nam-young s’attaque aux cadres corrompus. Si on prend pour hypothèse de départ que la société est bonne, on peut alors critiquer les écarts par rapport à un régime qui lui aussi est bon », explique ainsi Patrick Maurus.
« Les histoires de Choe Hyok se déroulent toujours derrière les lignes ennemies. Cela lui permet de représenter des pays étrangers : la Corée du Sud, le Japon, les Etats-Unis », note Jacco Zwetsloot. L’auteur se permet aussi quelques entorses à la pudibonderie nord-coréenne : « Il aime dessiner des femmes très sexy et aguicheuses. Mais bien sûr, ce sont toujours les méchantes. »
(*) Des Amis, de Baek Nam Ryong, à paraître en septembre chez Actes Sud