Le rapport « Justice, justice » publié par Amnesty International ce lundi 5 juillet 2010 à l’occasion de la commémoration des émeutes de 2009, précise que l’expert indépendant des Nations unies pour les droits des minorités Gay McDougall a demandé la possibilité de se rendre dans cette province dite « autonome » du Xinjiang au lendemain des événements, mais n’a jamais obtenu le feu vert des autorités chinoises.
Les organisations de défense des droits de l’homme continuent donc de réclamer aujourd’hui l’accès à ces régions de l’ouest de la Chine, afin d’établir un bilan de la situation. Pour justifier la répression, Pékin invoque la crainte du terrorisme, du séparatisme et de l’extrémisme religieux.
En 2001, l’attentat contre les tours jumelles de New York et le lancement de la traque contre al-Qaïda a conduit au durcissement du pouvoir central à l’égard de cette minorité pratiquant l’islam sunnite. Le gouvernement chinois accuse régulièrement le Mouvement islamique du Turkestan oriental d’actions terroristes, en lien avec la nébuleuse al-Qaïda. Un amalgame que déplorent les opposants ouïghours en exil.
Une région sous haute surveillance
Du fait de la politique restrictive de Pékin en matière d’information et d’accès à la région, seuls nous parviennent les témoignages recueillis le plus souvent auprès de Ouïghours contraints à l’exil. Concernant le déroulement des événements, deux versions s’opposent.
Celle des autorités qui incriminent le mouvement de la dissidente Rebiya Kadeer, le Congrès mondial ouïghour, jugé responsable d’avoir fomenté les violences depuis l’étranger et les témoignages de Ouïghours ayant participé aux manifestations ce jour-là, au cri de « Justice, justice », afin de dénoncer l’inaction des autorités, lorsque le 26 juin 2009, plusieurs travailleurs ouighours ont trouvé la mort au cours d’une bagarre, dans une fabrique de jouets du Guangdong.
L’incident de Shaoguan, auquel font référence de nombreux témoins, aurait provoqué le rassemblement des Ouïghours le 5 juillet 2009, en pleine après-midi au square du Peuple d’Urumqi. Le blocage des manifestants à l’entrée du quartier ouïghour, non loin du Grand Bazar, aurait ensuite abouti à de violents débordements.
Une manifestation qui tourne à l'émeute sur fond d'angoisse de la communauté ouïghour, c’est ce sentiment de peur qu'exprime Nurgul Toxti, exilée en France depuis cinq ans. Nurgul Toxti a contribué à l’organisation le dimanche 4 juillet 2010 d’une manifestation qui a réuni quelques centaines de personnes à l’appel du Congrès mondial ouïghour sur la place du Trocadéro à Paris. Certains sympathisants de la cause ouïghoure venaient d’autres pays d’Europe, notamment d’Allemagne. La plupart notent, comme leur leader Rebiya Kadeer, la difficulté de mobiliser en faveur des droits de la minorité ouïghoure, du fait des liens économiques importants qu’entretient la Chine avec le reste du monde.
Peu d’amélioration dans la vie des Ouïghours
Si le gouvernement chinois multiplie les efforts diplomatiques, en vue de devenir une puissance incontournable sur l’échiquier politique international, l’attitude de Pékin à l’égard des minorités n’évolue guère.
L'année écoulée a surtout servi à tuer dans l'œuf toute nouvelle velléité de manifestation. C'est ce qu'a pu observer Thierry Kellner, spécialiste de l'Asie centrale à l'Université libre de Bruxelles et au Brussels Institute of Contemporary China Studies : « Depuis le début du mois de juin, on a assisté à un resserrement du point de vue de la sécurité, dans la ville d'Urumqi, avec par exemple la mise en place de barrages à des carrefours stratégiques. Il y a aussi maintenant des patrouilles de citoyens -c'est une nouveauté- et puis une installation massive de caméras de surveillance vidéo. Je pense que Pékin a pris toutes les précautions pour qu'il y ait le moins de vagues possibles par rapport à cette date ».
A côté du dispositif de sécurité, les signaux envoyés par Pékin suscitent peu d’espoir chez les Ouïghours. Les autorités ont procédé au remplacement du chef du Parti communiste local, Wang Lequan, mais « c'était surtout parce que les Hans estimaient qu'il n'avait pas su les protéger contre les émeutiers ouïghours », note le chercheur Thierry Kellner.
Ensuite Pékin a lancé un vaste plan de modernisation, de l'équivalent d'un milliard et demi de dollars, mais les Ouighours estiment que ce sont d'abord les Hans qui vont en profiter, comme cela a toujours été le cas jusqu'à présent. Les discriminations à l’embauche sont le lot quotidien des Ouïghours. A l’exception d’une classe moyenne peu importante, la majorité des Ouïghours peuplant les campagnes, vit bien en dessous du niveau des populations hans qui forment la majorité des habitants des villes.
Les réflexes identitaires d’une communauté menacée
Du coup, faute de pouvoir revendiquer une amélioration de leurs conditions de vie, les Ouïghours cultivent les réflexes identitaires et se réfugient dans tout ce qui reste de leur culture d'origine, explique Thierry Kellner :
« Les Ouïghours essayent d'entretenir leur culture traditionnelle, ils pratiquent la religion musulmane, ils consomment d'une manière non chinoise. Par exemple, pour une famille de la classe moyenne, quand on veut acheter des produits alimentaires, cela veut dire que l'on va plutôt acheter des produits halal venus de Turquie, plutôt que des produits fabriqués en Chine, même par des musulmans chinois -les Huizou- simplement pour se différencier.
Au point de vue artistique, les chanteurs d'Asie centrale, les Ouzbeks etc... ont énormément de succès chez les Ouïghours, beaucoup plus que les artistes chinois. Ils essaient de cette façon de maintenir leur identité, car ils sentent qu'elle est menacée.
Un exemple récent, c'est la destruction historique du centre de Kashgar, sous couvert de grands projets d'urbanisation. On détruit les quartiers traditionnels puis on essaie de reloger les gens à l'extérieur de la ville dans des grandes tours d'immeubles qui sont en fait plus faciles à surveiller ».
Largement majoritaires dans le Xinjiang en 1949, où ils représentaient 79% de la population, les Ouïghours ne constituent plus que 45,6% de la population. La politique de peuplement de la province par les Hans se poursuit, à coup d’incitations financières et l’écart ne cesse de se creuser entre villes et campagnes. Ils sont désormais 73% de Hans dans la capitale provinciale d’Urumqi. Alors que la mainmise de ces derniers sur les leviers économiques ne cesse de s’étendre, la communauté ouïghoure ne sait plus où se tourner pour obtenir au minimum, le respect de ses droits fondamentaux.