Cinéma: à Rio de Janeiro, Indianara porte haut et fort l'étendard arc-en-ciel

Découvert en août au festival de Douarnenez, qui consacre une section aux cultures LGBT, le documentaire « Indianara » d'Aude Chevalier-Beaumel et Marcelo Barbosa sort ce mercredi 27 novembre sur les écrans français. C'est le magnifique portrait d'un personnage singulier, en lutte pour les droits des minorités sexuelles, des travailleurs du sexe, des pauvres et des laissés pour compte aussi, que les réalisateurs ont filmé deux années durant à Rio de Janeiro, au Brésil.

« Ni Dieu, ni État, ni mari, ni patron, jamais ! » peut-on lire sur le mur de la casa Nem, la maison où Indianara accueille ses « enfants » de la rue. Et pourtant Indianara va se marier avec Mauricio... C'est tout elle, une maîtresse femme à la poitrine généreuse et au port de tête royal, une chef de tribu, une bagarreuse, et néanmoins on apprend, au détour d'une plongée dans ses souvenirs, qu'elle a fait de la prison en France et plusieurs tentatives de suicide. Alors que Mauricio (le « mâle alpha » comme l'appelle Indianara) passe et repasse le balai ou la tondeuse dans leur maison, elle se bat sur d'autres fronts. Née Sergio dans les années 1970, elle a choisi d'être femme. Née pauvre, elle a dû se prostituer pour survivre.

Le droit à la différence

Un triste cercueil en carton agrafé, un encore plus triste trou dans un coin de cimetière qui ressemble à un champ de mines planté de simples croix : c'est sur ces images que s'ouvre le film. « On a fait tout ce que l'on pouvait pour toi ma chérie », dit Indianara en guise d'adieu à celle que l'on enterre. Hommes, femmes, trans, homos, lesbiennes, noirs, blancs... quelle importance, on finit tous dans un trou, ajoute-t-elle.

Le droit à la différence, c'est néanmoins le combat d'Indianara, d'avoir le corps de son choix (et d'en changer si celui que la Nature nous a donné ne convient pas) et d'en faire ce que l'on veut.

Un combat à haut risque dans un pays machiste et profondément religieux où la nudité est sanctionnée et le corps tabou malgré les apparences. Un combat qui a commencé pour elle au moment où les ravages du sida ont obligé les homosexuels et transsexuels à se bouger pour ne pas mourir.

Indianara et les pensionnaires de la casa Nem sont de toutes les manifestations pour défendre leurs droits. « C'est notre corps ! C'est notre droit ! », scandent-ils/elles. « J'ai rencontré Indianara en 2014 alors que je tournais un film sur la montée des évangéliques maintenant au pouvoir au Brésil, explique Aude Chevalier-Beaumel, la co-réalisatrice. Elle faisait alors sa performance annuelle : le jour de la fierté trans au Brésil, égrainant les noms des personnes transgenres assassinées pendant l'année. »

De Temer à Bolsonaro

« Fora Temer », peut-on lire sur les pancartes des manifestants. Aude Chevalier-Beaumel et Marcelo Barbosa ont commencé à suivre Indianara en janvier 2017, après donc l'éviction de Dilma Roussef (« un coup d'État de la bourgeoisie », scande la foule), sous le mandat de Michel Temer, président par intérim. « Temer n'est pas un fils de pute, lance Indianara au micro, parce que les putes sont des travailleuses ! ». La défense d'une cause n'empêche pas l'humour... « Je vous avais dit de ne pas inviter trop de monde à mon anniversaire », plaisante encore Indianara, la poitrine bardée de badges, équipée d'un masque à gaz, dégustant son gâteau sur les marches d'un bâtiment officiel, après une manifestation. Mais même au sein des mouvements de gauche ou d'extrême gauche, la question de la défense des minorités sexuelles ne va pas de soi. Indianara, qui a été conseillère municipale adjointe, sera lâchée par le parti PSOL (Socialisme et Liberté, également celui de Marielle Franco, une scission du PT) et les pensionnaires de la casa Nem expulsés. « Hypocrites qui ont utilisé nos combats et nos corps à des fins électorales », crie t-elle en colère.

« Indianara Siqueira presente », « Marielle Franco presente »

La casa Nem, un « quilombo de résistance  », était autogérée, avec le soutien d'associations qui finançaient les repas et proposaient des cours d'alphabétisation, une des séquences du film. Là vivait un collectif haut en couleurs, pauvre et précaire, combatif et joyeux, dans lequel les réalisateurs se sont fondus. Il y a des prises de bec et des fêtes aussi. Mais, au fur et à mesure que la narration avance, la nuit prend le pas sur le jour. C'est la nuit que les prostituées travaillent, que le danger guette pour les sans-abris et que les meurtres sont commis. C'est la nuit que Marielle Franco, conseillère municipale de Rio, Afro-Brésilienne, homosexuelle et militante de gauche, et son chauffeur sont assassinés en mars 2018. Nous sommes sur les lieux du crime ; sur les visages se lit la consternation. Aux obsèques de Marielle, la foule est en larmes ; Indianara dont elle était proche, aussi.

À écouter aussi : Assassinat de Marielle Franco, comment avance l’enquête ?

La peur s'installe, des caméras de surveillance sont installées au domicile d'Indianara et de Mauricio. Jair Bolsonaro, candidat d'extrême droite, est élu, lui dont les déclarations sexistes et homophobes ont secoué la campagne électorale. Nouveau coup de massue. « Quelle merde... ». « Nous serons la résistance », se rassurent les pensionnaires, mais toujours résister contre des vents de plus en plus contraires épuise et la caméra est le témoin empathique de cette détresse. Les pensionnaires expulsés trouveront un nouveau refuge dans un palais baroque, une coquille vide pleine de gravats aux colonnes de marbre pourpre veiné. Magnifiques images. Il faut reconstruire sur les ruines. Recommencer, encore et toujours.

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