[Reportage] À Détroit, les grévistes de General Motors montent au front

C’est l’une des plus longues grève depuis les années 70 chez General Motors. Les 34 usines américains du groupe automobile sont à l’arrêt. Les 50 000 salariés réclament de meilleurs conditions de travail. À Détroit, ils sont plus que jamais décidés à résister.

De notre envoyée spéciale à Détroit (Michigan)

Devant l’usine General Motors, sous un soleil automnale, une vieille chanson de rock américaine s’échappe d’une enceinte. Pancartes en main, une vingtaine de grévistes marchent en rond. Ici, c’est la loi : faire grève, c’est rester tout le temps en mouvement. Et au bout de 25 jours, la fatigue se lit sur certains visages. « Au début, on chantait nos slogans très fort tout le temps, explique Dana Duncan, maintenant, on se dit juste “bonjour, ça va ?", on rigole un peu et on marche, on marche », ajoute-t-elle dans un grand rire.

Cette joyeuse femme de 52 ans travaille chez General Motors depuis vingt ans. Aujourd’hui, elle se dit triste de « voir comment les choses se passent avec la direction ». « Je ne pensais pas qu’on serait obligés de faire grève aussi longtemps. On ne demande pas la lune, on veut juste de meilleurs conditions. »

À ses côtés, Lamar Young approuve. « Ce n’est pas seulement une question de salaires. On se bat pour la sécurité de nos emplois. » Lui, vient d’une famille General Motors. Son grand-père et son père ont tous les deux travaillé ici. Face au blocage des négociations, il déplore « la cupidité des dirigeants de GM » et dit « garder la foi ». Chaque dimanche, il organise des prières collectives sur le piquet de grève. De groupe en groupe, ce chef d’équipe de 46 ans prononce quelques mots « pour remonter le moral des grévistes ».

General Motors, le rêve de beaucoup

À quelques mètres des marcheurs, Georges R. fait une pause café. Cheveux longs poivre et sel, t-shirt rouge aux couleurs du puissant syndicat automobile (AWS), il fêtera ses 35 ans chez General Motors en janvier prochain. Issu d’une famille d’immigrés grecs, il se destinait « à reprendre le restaurant familial », mais le hasard l’a mené ici à l’âge de 24 ans. « Tous les matins, quand j’arrivais dans le parking, je me disais “Wow, je suis vraiment ici !” », raconte-t-il avec nostalgie. « C’était un rêve ! Travailler ici, construire les meilleures voitures. Aujourd’hui encore, je suis fier de ce qu’on fait ici. »

Il confie qu’il préférerait de loin reprendre le travail, mais pas à n’importe quel prix. « On a tout donné à cette entreprise. Notre savoir-faire, notre temps et notre corps. Je vous défie de trouver une personne qui n’a pas dû subir au moins une opération, au dos, à la hanche, au genou… », explique-t-il en montrant une cicatrice sur son poignet.

Georges sera à la retraite dans dix ans, alors pour lui, « cette grève est surtout pour les futures générations de travailleurs ».

Une grève pour l’avenir

Les grévistes réclament notamment que les travailleurs temporaires aient plus de garantie d’emploi. Izaiah Dukes enchaîne les petits contrats depuis quatre ans. À 22 ans, il vit encore avec ses parents. « Ce n’est pas toujours facile, même si je fais partie des chanceux », dit-il. Il aimerait déménager et « avoir enfin plus d’indépendance », mais à Détroit, « les loyers augmentent et le niveau de vie aussi ». Izaiah veut également pouvoir voyager. Passionné de culture nippone, il rêve d’aller au Japon l’année prochaine. « Mais bon, pour l’instant, je vis au quotidien. On s’occupe déjà de la grève et ensuite on verra ! »

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D’habitude, il travaille dans la même équipe que Riley Jackson, papa d’une fille de 12 ans. Comme beaucoup, ce trentenaire, qui fait plus jeune que son âge, est prêt à aller jusqu’au bout pour obtenir gain de cause, même si financièrement, c’est compliqué. « Grâce à la caisse de la grève, on reçoit 250 dollars par semaine, mais ça ne suffit pas quand vous avez une famille, une maison à payer », explique-t-il. Au quotidien, c’est toute une organisation, des économies sur tout, plus de sorties, plus de petits plaisirs. Et pour mieux gérer le budget nourriture, il « cuisine de grandes quantités de pâtes ou de chili qui durent plusieurs jours ».

Pour tenir, les grévistes peuvent compter sur la solidarité de la communauté. À chaque voiture qui passe, des poings se lèvent et des coups de klaxon fusent en signe de soutien. Beaucoup s’arrêtent parfois pour apporter du café, de la nourriture ou encore des enveloppes d’argent.

Alors qu’ils vont entamer leur cinquième semaine de grève, les salariés espèrent que les négociations entre les syndicats et la direction pourront reprendre pour un accord rapide.

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